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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/587

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pas en 1804 paralyser ses bonnes dispositions ? En Allemagne et en Italie, l’Autriche était engagée dans une lutte gigantesque contre le plus redoutable des adversaires ; au milieu de complications imminentes, elle s’inquiéterait bien de ses protégés d’Orient ! La Russie offrait une sauvegarde plus sûre ; c’était vers elle, depuis Pierre le Grand et Catherine, que les opprimés de la Porte dirigeaient leurs regards. N’avait-elle pas déjà, en Moldavie et en Valachie, rempli le rôle de puissance protectrice ? Tout récemment encore, en 1802, n’avait-elle pas obtenu pour les Moldo-Valaques ce que les Serbes réclamaient pour eux-mêmes, l’éloignement des Turcs et l’établissement de chefs nationaux, princes tributaires de la Porte, que la Porte ne pouvait destituer sans l’assentiment du tsar ? Il fut donc résolu qu’on invoquerait le secours de la Russie. Trois députés serbes, le proia Nenadovitch (neveu du vaillant knèze Jacob), Jean Protisch et Pierre Tschardaklia, partirent pour Saint-Pétersbourg au mois d’août 1804. Ils revinrent six mois après (février 1805), rapportant une réponse favorable. « Prenez l’initiative, avait dit la chancellerie moscovite, adressez vos demandes à Constantinople, notre représentant les appuiera. »

Pendant ce temps, les chefs de l’insurrection serbe, tout en maintenant les positions acquises, n’avaient pas cru devoir pousser les choses plus avant. Il était clair toutefois que la lutte ne tarderait point à éclater de nouveau. D’un côté les anciens agens des dahis occupaient encore certains points fortifiés à l’intérieur et au sud, de l’autre les Turcs de Belgrade reprenaient leurs allures arrogantes, et les chefs serbes durent être constamment sur leurs gardes, soit pour éviter des embûches, soit pour prévenir un conflit prématuré. Quand les députés revinrent de Saint-Pétersbourg, tout changea aussitôt. Confians dans l’appui du cabinet russe, les Serbes purent enfin parler et agir. Quelques semaines après le retour des députés, une grande réunion des chefs de l’armée serbe eut lieu à Ostruschnitza. Il y vint des Turcs de Belgrade, il y vint aussi, chose curieuse, certains personnages de Moldavie et de Valachie, représentans des deux hospodars, chargés par le divan de Constantinople d’apporter à Kara-George et à ses compagnons le bérat impérial qui leur conférait la dignité d’ober-knèze. Le divan croyait sans doute que des paroles amicales et des titres d’honneur suffiraient pour calmer les esprits. Les Serbes, sans se demander si les Turcs de Belgrade ou les délégués des hospodars avaient qualité pour leur répondre, posèrent immédiatement des conditions très hardies. Ils étaient obligés, disaient-ils, d’expulser les derniers agens du despotisme des dahis ; il fallait pour cela que toutes les forteresses occupées encore par les Turcs sur divers points du