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guerre ? Ce sont des gens qui ne pensent qu’à s’enrichir, et qui, une fois leur fortune faite, s’en iront à l’étranger, abandonnant les pauvres paysans à la colère des Turcs. Ne vaut-il pas mieux vous soumettre ? » Les propos du diplomate russe, et l’attitude de l’archevêque de Belgrade inquiétaient déjà Karaf George, quand Mladen et Yougovitch lui dirent ! « Prends garde : c’est pour te renverser plus facilement qu’on nous a écartés du sénat. » Et comme M. Rodofinikin, avait de fréquentes conférences avec Léonti et Nicolas, ils ajoutaient : « Le Russe et les phanariotes sont d’accord ; ils veulent nous imposer un gouvernement grec, comme dans la Moldavie et la Valachie. » Yougovitch affirmait, donnait les détails, fournissait les preuves. Assez modéré jusque-là, en tout ce qui concernait le maintien de son pouvoir, Kara-George résolut de couper court à ces intrigues. Le phanariote Nicolas fut chassé, l’archevêque surveillé de près ; Mladen et Yougovitch rentrèrent au sénat plus puissans, plus redoutables. Sans être, encore investi de l’autorité, souveraine, le « commandant » était mieux en mesure de tenir tête aux hospodars et d’établir l’unité d’action pour le salut de la communauté.

Est-ce le désir de mettre à profit cette puissance ? est-ce l’espoir de dominer ses rivaux par l’éclat d’une gloire nouvelle ? est-ce simplement, la force des choses, la logique d’une entreprise qui, une fois commencée, ne permet r pas qu’on s’arrête, — est-ce cette logique, et cette force qui, entraînèrent Kara-George au-delà des frontières de Serbie ? Je ne sais ; une chose centaine, c’est qu’au printemps de l’année 1809, le commandant des Serbes engage sa petite armée dans une entreprise téméraire et grandiose. Examinez une carte de l’empire ottoman : vous verrez la Serbie actuelle, le long de sa frontière occidentale, bornée par deux provinces turques, la Bosnie au nord, l’Herzégovine au sud, et au-delà de ces contrées le territoire du Monténégro. J’ai dit des provinces turques ; elles l’étaient devenues, par la conquête. En réalité, la plupart de leurs habitans étaient des Serbes qui, sous le sabre des Osmanlis, s’étaient réfugiés dans l’église de Mahomet. Kara-George conçoit la pensée d’envahir la Bosnie et l’Herzégovine, de chasser les Turcs, de délivrer les Serbes, surtout de relier à la Serbie restée fidèle cette fière population du Monténégro qui, pressée d’un côté par les Latins, de l’autre par les Ottomans, a gardé invinciblement, son sol et sa foi. Du Montenegro à la Bulgarie, de l’Adriatique à la Mer-Noire, c’était la Serbie des Némanja, la Serbie de l’empereur Douschan le Fort Si une telle conception parait insensée de la part d’un chef qui avait encore tant d’efforts à faire, tant de périls à surmonter, avant de maintenir l’indépendance de Belgrade, il faut se rappeler que l’exaltation de Kara-George, était excitée, au puis haut point par les