Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vice, l’électeur de Cologne était l’allié de l’empereur, et lorsque, il y a quatre ans, je partis pour l’Espagne, l’Allemagne entière, représentée par ses princes, était prosternée devant ce soldat couronné. Revenu depuis trois semaines, je trouve une autre Allemagne. Ce que je ressens à ce sujet ne regarde que moi, et si je puis m’en ouvrir à quelqu’un ici-bas, ce n’est, bien entendu, qu’à mon père.

Le vieux herr avait écouté le commencement de ce discours avec des hochemens de tête significatifs, et son regard fixe ne quittait pas un instant le visage de son jeune interlocuteur. Peu à peu cependant il fut frappé du ton de conviction avec lequel celui-ci s’exprimait. — Allons, dit-il, je crois que l’enfant dit vrai... Qu’en pensez-vous, chère amie ? C’est pourtant dommage qu’il ait raison. Voyons, petit Fritz, puisque le colonel n’a pas même une beure à nous donner, cours me chercher la frau amtshauptmann. Dis-lui de ma part qu’elle vienne immédiatement, que j’ai de bonnes nouvelles à lui communiquer. Insiste là-dessus, de bonnes nouvelles... Sans cela, continua-t-il, s’adressant à ma mère, la pauvre femme pourrait s’inquiéter.

En ramenant Mme Neiting, nous trouvâmes, elle et moi, la place du marché complètement envahie. La colonne française s’apprêtait à se mettre en route. Les canons étaient attelés, le bataillon formé en ligne, les tambours battaient le rappel. La bonne dame autour de qui je gambadais follement eut grand’peine à me tirer sain et sauf de cette mêlée.

Sous le vestibule, elle rencontra la Westphalen, irritée et plaintive, un peu plus loin le boulanger Witte, qui maugréait encore à dire d’experts, puis Droz, puis le meunier Voss, qui tenaient à lui exposer leurs griefs. Avant qu’elle ne fut débarrassée de tout ce monde, survinrent la femme et les enfans de l’horloger suisse, criant et geignant de leur mieux. Ce chœur d’affligés tempéra les imprécations du boulanger, qui me pria d’aller chercher son fils Johann et sa fille Strüwingken, me promettant une belle tourte pour ma peine. Je portai fidèlement son message, et quand je revins avec les deux enfans (plus la tourte), je trouvai arrêtée devant la rathhaus la charrette d’Heinrich Voss, où était Heinrich Voss lui-même, ainsi que la meunière et la gentille Fieka : d’où il appert que les gendarmes avaient fini par trouver la route de Gielow, et qu’à défaut du chef ils avaient ramené toute la famille. On pleurait, on gémissait. Seule Fieka était calme. Elle avait emmené son père dans un coin. — L’argent est rendu ? lui demanda-t-elle à voix basse. — Il est là, répondit le meunier, montrant du pouce la porte de la salle d’audience. — Bon courage alors, Dieu ne nous abandonnera point.