Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par contre attiré de terribles coups de boutoir de la part de Napoléon, qui se plaignait parfois amèrement, et non sans quelque apparence de raison, de rencontrer ainsi sur son chemin la résistance opiniâtre du dignitaire de l’église de France sur lequel il aurait eu le plus de droits de compter, et qu’il n’avait d’ailleurs élevé à de si hautes fonctions qu’avec la pensée d’en faire le docile instrument de ses desseins. Plus ces reproches, que l’empereur ne lui épargnait guère dans l’intérieur de la famille et même parfois devant le public, devenaient vifs et injurieux, plus le cardinal, d’ordinaire assez emporté lui-même, savait demeurer calme et impassible. En vain Napoléon recourait, pour le forcer à se départir de cette attitude, aux plaisanteries les plus dures à propos des mœurs de sa jeunesse et de sa conduite dans les années qui avaient précédé sa rentrée dans le giron de l’église; Fesch, nous a raconté souvent l’un des témoins de ces scènes étranges, repoussait froidement les raisonnemens et les sarcasmes de son neveu, se retranchant derrière la profondeur des convictions auxquelles il était enfin revenu. C’est qu’en effet, depuis le jour où il était allé se mettre sous la direction de l’abbé Émery, la tenue ecclésiastique de l’ancien chanoine d’Ajaccio n’avait plus donné prise à la moindre critique. Il avait repris avec une rare fermeté les habitudes, les mœurs et le langage de son état. Des anciens goûts de l’ex-fournisseur des vivres, il ne lui était resté que l’amour plus dispendieux qu’entendu des tableaux et un certain penchant à vivre dans le luxe; mais ce luxe lui-même avait revêtu une apparence parfaitement convenable et tout à fait en rapport avec le rang du primat des Gaules et du grand aumônier de l’empire. Il se complaisait d’ailleurs à faire principalement les honneurs de son splendide établissement aux hommes d’église qui composaient sa société ordinaire.

Dans cette situation pour ainsi dire inexpugnable, l’influence du cardinal Fesch aurait été prépondérante au sein de la commission ecclésiastique, si ses lumières avaient été à la hauteur de sa fortune, ou s’il avait seulement su faire un emploi quelque peu raisonnable de tant d’heureuses circonstances et d’un zèle que personne ne mettait en doute. Malheureusement pour Fesch, ses collègues, qui se rendaient parfaitement compte des avantages que leur président aurait pu procurer à la cause de l’église en raison de ses liens de famille avec l’empereur, savaient encore mieux à quel point il était capable de la compromettre auprès de lui par son ardeur intempestive, par ses maladresses ordinaires et, comme le dit cruellement M. de Pradt, « par sa naturelle lourdise. » Le rôle qui dans le sein de la commission ecclésiastique échappait ainsi au cardinal Fesch aurait dû hiérarchiquement revenir au cardinal Maury; mais depuis sa rentrée en France, depuis surtout sa récente nomi-