Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/653

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après lui, et le rattrapa. — Que signifie cette résolution ? demanda-t-il avec un empressement significatif.

— Elle signifie, répondit l’autre, que la même chose nous arrive à tous deux. Seulement votre Fieka verse des larmes, et mon Hanchen se moque de moi. Croiriez-vous qu’elle me trouve trop vieux pour elle ? L’homme de Brandebourg heureusement n’y regarde pas de si près...

— Chut ! interrompit Heinrich à voix basse. Ces choses-là ne se crient pas sur les toits. Vous voulez vous faire soldat, n’est-ce pas ? Eh bien ! moi aussi... Je suis maintenant seul au monde, sans parens, sans amis, sans rien qui me fasse craindre de rester sur un champ de bataille. l’amtshauptmann promet d’avoir l’œil sur ce qui m’appartient, et, s’il m’arrivait malheur, d’en disposer comme je l’entends. Louer mon moulin de Parchen sera l’affaire d’une matinée, et quand j’aurai vendu ma charrette...

— Hourrah ! camarade, votre main !... Ah ! Dumouriez ! il ne m’a pas fallu longtemps pour reconnaître en vous l’étoffe d’un bon soldat.

— La volonté y est, reprit Heinrich, mais les moyens, la marche à suivre...

— N’ayez pas de crainte. Quand les gens ont une sottise en tête, le diable est toujours là pour la leur rendre facile. Or le bon Dieu ne saurait faire moins pour deux bons garçons s’apprêtant à prendre les armes en faveur du pays. Moi, je suis forcé d’attendre au moins jusqu’à Pâques ; mais rien ne vous empêche d’aller faire une promenade à Brandebourg. Dans l’auberge où nous avons couché, vous trouverez un grand gaillard à moustaches grises porteur d’une balafre en travers de la joue droite. Il vous enrôlera, et vous lui donnerez mon nom à mettre sur ses listes ; puis, quand tout sera réglé, vous me ferez signe. Au moment convenu, présent à l’appel.

— Dites en revanche à Fieka de ma part, sans lui tout expliquer, qu’elle s’attende à quelque chose qui pourra la surprendre, mais que la parole donnée tient toujours.


XIV.

Dans cette portion du pays, les Français ne se montrèrent plus, mais on n’en fut pas pour cela plus tranquille. La landsturm ayant été convoquée, l’amtshauptmann en reçut le commandement, exercé sous lui par le capitaine Grischow. A l’exception du maître d’école, qui s’était fait confectionner une hallebarde par le serrurier Tröpnerr, leurs soldats n’avaient pour armes que des piques. Mon oncle Herse organisa néanmoins une compagnie de tirailleurs disposant de