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Grant, en violation directe du tenure of office bill, qui soumettait tous les changemens administratifs, même ceux qui se feraient dans le ministère, à l’approbation préalable du sénat. Ce nouveau grief, ajouté à tant d’autres, parut suffisant au comité pour déterminer une accusation. Cinq de ses membres contre quatre votèrent la poursuite immédiate de l’affaire, et le rapporteur, M. Boutwell, en fit aussitôt la proposition à la chambre.

Le moment d’ailleurs était favorable. M. Johnson préparait son message annuel, et il avait dit à qui voulait l’entendre que ce serait un coup de foudre contre le congrès. La chambre des représentans, qui contenait 145 députés républicains contre 46 députés démocrates, n’accueillerait sans doute pas avec beaucoup de patience la nouvelle incartade du président. D’abord toutefois le projet fut reçu froidement. Le rapport de M. Boutwell provoqua un mélange d’applaudissemens et de sifflets qui n’était pas d’un bon augure. On écouta au contraire avec beaucoup d’attention le rapport contradictoire de MM. Eldrige et Marshall, les deux membres démocrates de la commission. Quant aux deux républicains modérés (MM. Wilson et Woodbridge) qui avaient voté contre l’accusation, ils déclarèrent que la conduite de M. Johnson, bien que politiquement et moralement condamnable, ne prêtait pas à une condamnation légale, et que « les fautes politiques devaient être jugées devant l’urne électorale et non devant la haute cour. » Il fut évident pour tout le monde que l’assemblée était de leur avis. Le général Grant, appelé à donner son témoignage à la chambre, sans sortir une seule fois de sa réserve, s’était abstenu de toute dénonciation contre le président, et semblait plutôt désireux de le justifier. À toutes les questions qui lui étaient posées sur les faits de la cause, il avait répondu avec une franchise et une fierté toutes militaires, au risque de se brouiller lui-même avec le congrès. Il déclarait qu’il était de compte à demi dans quelques-unes des fautes que l’on reprochait à M. Johnson, qu’il avait respecté l’immunité des officiers confédérés protégés par la capitulation de Richmond, qu’il avait souhaité le rétablissement de l’ordre civil dans les états du sud, qu’il avait été d’avis de dispenser les fonctionnaires du serment quand on n’en pouvait trouver de loyaux qui fussent en même temps capables. D’autres témoignages non moins puissans, celui de M. Stanton lui-même, étaient venus fortifier l’opinion du général Grant. M. Wilson demanda l’ordre du jour, et M. Boutwell lui-même avoua qu’il était peut-être plus sage, de fermer les yeux sur l’inconduite du président.

La cause de l’impeachment semblait encore une fois perdue, quand elle reçut de la Maison-Blanche un secours qui faillit la relever. Le nuage qui s’y amoncelait depuis quelque temps vint crever