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comme une ennemie, le congrès avait décrété, sans beaucoup de souci de la légalité, que désormais il faudrait à la cour une majorité des deux tiers pour infirmer une décision législative. Revenant ensuite sur cette mesure, mais seulement pour l’aggraver, il songeait à retirer à la cour jusqu’au pouvoir de trancher les questions légales en elles-mêmes, et le sénat faisait passer malgré le veto du président une loi qui, l’assimilant aux tribunaux ordinaires, bornait sa juridiction aux cas particuliers qui lui seraient soumis. Cette espèce d’usurpation sur l’autorité judiciaire allait inquiéter les conservateurs et aliéner aux radicaux la bienveillance du juge suprême, M. Chase ; mais elle laissait le président sans défense, et rendait sa déposition plus qu’inutile. Si dans le comité d’impeachment M. Thaddeus Stevens et quelques fanatiques s’évertuaient encore à découvrir de nouveaux motifs d’accusation, il était évident que la modération du congrès en ferait justice, et qu’il ne commettrait pas la maladresse de frapper un ennemi terrassé.

Cette procédure d’impeachment, cent fois abandonnée et cent fois reprise, avait fini par ne plus paraître sérieuse. Bien des gens se refusaient à y voir autre chose qu’un épouvantail dressé de temps à autre pour effrayer l’habitant de la Maison-Blanche et pour le contenir dans le devoir, Il n’était pas vrai toutefois que ce projet ne fut qu’une vaine menace. C’était une intrigue savante par laquelle les radicaux espéraient arriver à la présidence et empêcher l’élection du général Grant. S’ils n’avaient eu d’autre objet en vue que la prompte réorganisation des états du sud et l’exécution plus facile des lois du congrès, ils auraient compris qu’il était bien tard, que c’était désormais une rigueur superflue, et qu’ils n’avaient pas besoin de recourir à ce moyen violent, puisqu’il ne restait plus rien à faire, et qu’ils étaient partout les maîtres. Si au contraire ils n’avaient eu d’autre désir que de se venger d’un ennemi mortel et de lui mettre une marque d’infamie ineffaçable, ils se seraient dit que leur dédain l’humiliait bien davantage, et qu’ils n’avaient rien à gagner à en faire une espèce de victime intéressante en lui conférant les honneurs du martyre. Dans l’un et l’autre cas, cette condamnation, prononcée dans la dernière année de son pouvoir, à quelques mois des élections qui devaient lui désigner un successeur, n’aurait pu être qu’un acte de colère irréfléchie. Pour qu’un vieux tacticien comme M. Thaddeus Stevens, des hommes d’état expérimentés comme M. Sumner et M. Wade, des politiciens habiles comme les autres chefs radicaux du sénat et de la chambre, y portassent cet acharnement véritablement singulier, il fallait que la déposition du président se rattachât à quelque grand projet relatif à l’élection prochaine et à la candidature du général Grant.

Personne n’ignorait avec quel chagrin ils voyaient cette