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pensée, — un président choisi en apparence par l’un des deux partis extrêmes et qui réellement a pour mandat de le contenir. La position où le général Grant se trouve placé à l’égard du congrès est à la fois délicate et singulière ; c’est une position dont un ambitieux vulgaire, élu dans tout autre pays à la première magistrature de l’état, essaierait certainement de se prévaloir pour se bâtir un trône éphémère ou pour s’emparer d’une dictature qui durât autant que sa vie.

Quoi qu’il arrive, un pareil danger n’est pas à craindre aux États-Unis, moins que jamais sous la présidence du général Grant. Ceux qui lui attribuent charitablement des projets de dictature connaissent bien mal et le génie des institutions américaines et le caractère du grand citoyen qui est chargé maintenant de les défendre. Ils en jugent par des analogies lointaines et peu flatteuses pour la république ; ils se trompent de temps et de contrée. Qu’ils l’apprennent, puisqu’ils l’ignorent, l’esprit républicain est tellement puissant dans le cœur des citoyens de ce pays, l’habitude de la liberté est tellement inséparable de leur nature même, que celui qui essaierait de la leur prendre, fût-il cent fois plus populaire que le général Grant, tomberait à l’instant même au rang des plus criminels. Sans doute le général Grant est un soldat ; les soldats en ce pays respectent autre chose que la force. L’homme qui écrivait, il y a quelques semaines, à ses anciens compagnons d’armes qu’ils n’avaient pas le droit de s’occuper de son élection, et que les officiers de l’armée active devaient s’abstenir de toute agitation politique où fût mêlée leur autorité militaire, cet homme-là n’a pas besoin qu’on le défende contre des soupçons aussi injurieux. « Vous avez dit avec raison, répondait-il à la députation chargée de lui notifier sa candidature, vous avez dit avec vérité que je ne dois avoir aucun pouvoir personnel pour résister aux volontés du peuple, » II restera fidèle à cet engagement solennel. Si jamais la jalousie des radicaux venait à troubler la bonne harmonie des pouvoirs, il ferait tout ce dont la prudence humaine est capable pour les réconcilier entre eux.

Mais il n’est pas besoin de s’arrêter à ces prévisions fâcheuses. Tout montre que le radicalisme est en décadence, et que le nouveau congrès va probablement secouer son joug. Le renfort gagné par les démocrates à l’élection dernière inspirera aux républicains des réflexions sages. La retraite de M. Johnson leur rendra d’ailleurs le sang-froid que ses provocations leur avaient fait perdre. Tôt ou tard l’opinion publique prévaudra sur leurs passions et sur leurs rancunes. A moins d’événemens extraordinaires et d’acci-dens imprévus, les prochaines élections représentatives affaibliront encore le parti radical et affermiront l’ascendant des modérés. C’est alors que le président Grant pourra donner à ses concitoyens cette