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LA
COMEDIE CONTEMPORAINE

Quand la comédie de Molière se contentait de la prose, elle s’excusait en disant qu’elle n’avait pas eu le temps de mettre ses brodequins. Déjà pourtant la prose pouvait suffire à la haute comédie, témoin l’Avare, et la forme du vers n’était plus ce qui distinguait l’œuvre littéraire de celle qui ne l’était pas, le passe-temps des connaisseurs de celui des simples curieux. Le grand comique s’est emparé des deux domaines. En réalité, c’est dans le Misanthrope et l’Avare que la comédie a chaussé le brodequin, c’est dans les Fourberies de Scapin et dans tant d’autres farces de génie qu’elle a couru pieds nus sur la scène. Depuis Molière jusqu’à nos jours, la représentation des ridicules humains a donné naissance à deux théâtres parallèles, se perpétuant presque sans interruption, et en possession d’amuser soit les esprits cultivés et le public d’élite, soit les spectateurs simplement amoureux de nouveauté ou de plaisir. Souvent la troupe de ceux qu’on appelait les Italiens offrait un asile aux auteurs que rebutait la compagnie des Français, à Lesage, par exemple ; souvent aussi les Français accueillaient ceux qui avaient fondé chez les Italiens leur popularité, comme Marivaux. Le petit théâtre, où régnait la comédie sans brodequins, alimentait le grand, où le socque classique de Thalie était de rigueur. Quelquefois, par une redoutable concurrence, le petit détournait poètes et spectateurs du grand et lui coupait les vivres. La première république supprima cette distinction d’une aristocratie et d’une démocratie comique en traitant les successeurs des Lekain et des Préville au moins comme des suspects. L’empire et la restauration virent renaître l’antagonisme des deux théâtres sous la forme du vaudeville