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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/733

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Balzac ? Malheureusement ces personnages se ressemblaient presque tous : toujours la Torpille, et toujours le baron de Nucingen, toujours le vice de la femme sans cœur ou de l’homme sans entrailles. N’y avait-il donc pour nous intéresser que des voleurs et des prostituées ? Puisque nos écrivains ne pouvaient s’approvisionner d’imagination que dans Balzac, le romancier populaire n’avait-il pas autre chose à leur offrir ? Ou bien nos goûts étaient-ils de telle nature que les écrivains ne pussent nous captiver qu’avec ces deux genres de tableaux ? L’image de l’or et la jalousie pour ceux qui en possèdent des monceaux, les plaisirs grossiers et la vie de celles qui en tiennent enseigne et en font marchandise, était-ce là tout ce qui était sûr d’éveiller notre curiosité ? Peut-être faut-il même réduire ce fonds si restreint. Le ridicule de l’argent dans de certaines mains a été montré au théâtre. On a ri, et encore médiocrement, de Jean Giraud, parce qu’il est ignorant et mal élevé ; mais la comédie de l’argent mal acquis n’a pas été faite, Turcaret reste encore sans successeur, et il semble que, plus timides ou plus superstitieux que nos pères sous Louis XIV, nous ayons mis sa majesté l’argent dans la constitution. En fin de compte, le théâtre contemporain n’a reproduit avec fidélité et n’a rendu avec hardiesse que les courtisanes de Balzac. Le jour que le célèbre romancier est mort dans Paris, où il venait de rentrer, on lui fit des funérailles d’Alexandre. Il laissait comme un vaste empire assez mal ordonné de fictions ; ses héritiers se le sont tant bien que mal partagé. A qui laissait-il l’anneau ? A un jeune homme alors inconnu qui s’est emparé avec talent d’une seule de ses provinces, celle de la Torpille, de Florine, de Mme de Mortsauf : ce jeune homme, on l’appelait Alexandre Dumas fils.

On s’accorde trop à dire que M. Alexandre Dumas fils ne rappelle aucun modèle, qu’il ne laissé deviner aucune étude, qu’il n’a rien lu, que le premier peut-être entre les écrivains dramatiques il a observé directement, exclusivement, la nature. Quoiqu’il se fasse plus ignorant qu’il n’est en réalité, et que nous apercevions très bien sa coquetterie à travers ses fautes de français plus ou moins voulues, nous accorderons qu’il ne se pique ni de littérature ni de souvenirs ; mais nous sommes obligés d’avouer que nul ne connaît mieux son Balzac. Posséder son Balzac, ce n’est pas le réciter par cœur et le copier, ce serait plutôt en être possédé. M. Dumas fils a trop d’esprit et de talent réel pour imiter de cette manière. Dans son emprunt, il y a beaucoup de choix et de prudence, il n’a pris que ce qui était à son usage ; mais il cacherait en vain l’école où il a fait ses études, la main dont il a reçu la première impulsion. Il a fait une suite à Balzac au chapitre des Splendeurs