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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/808

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de ces catégories différentes est isolée par une bande en zigzag où se déroule une inscription[1]. Il est superflu de dire que ce travail, qui a duré trois ans, a été fait au microscope, et que l’artiste qui a produit un tel chef-d’œuvre de patience a failli y perdre la vue. Lorsque, armé d’une forte loupe, on regarde attentivement ces sauterelles, ces cicindelles, ces frelons, ces fourmis, ces libellules, dont les ailes, les pattes, les antennes, les articulations du corsage, sont d’une exactitude frappante, on éprouve une sorte d’éblouissement involontaire.

La façon de procéder s’explique maintenant d’elle-même. La pièce à contrôler est posée au hasard sur la bigorne ; au-dessus du point exact par lequel le métal est en contact avec l’enclume, on applique le poinçon, qui est enfoncé d’un coup sec. La pièce reçoit donc une double empreinte : celle de l’image gravée sur le poinçon, celle d’une partie des mille traits qui sillonnent la bigorne ; mais cette dernière image change à chaque opération, tantôt elle représente une tête de fourmi et une patte de sauterelle, tantôt la partie inférieure d’un staphylin et les antennes d’un fulgore. C’est là le vrai, l’inimitable contrôle, qui, malgré la multiplicité des variantes, appartient à un texte unique qu’on peut toujours consulter au besoin. Il n’est personne qui, ne serait-ce que machinalement, n’ait examiné la marque d’une cuillère ou d’une fourchette. On voit alors à la face externe une marque qui a huit pans irréguliers. Au milieu se dessine une tête de Minerve ayant le chiffre I placé en vedette devant le front : c’est là le poinçon- du premier titre d’argent ; mais sur la face interne, précisément de l’autre côté de cette marque, on aperçoit des traces qui paraissent indécises, irrégulières, et ressemblent à une écorchure du métal : c’est la trace de la bigorne. Qu’on examine attentivement, et l’on reconnaîtra des portions d’insectes et peut-être une lettre ou deux de la légende inscrite entre eux. Les poinçons de la bigorne de la garantie, gravés en 1838, n’ont point été modifiés, car nul instrument de précision n’offrirait une plus sérieuse sécurité.

De même que les monnaies ne peuvent circuler qu’après avoir recula triple consécration de l’effigie, de la tranche et du revers, de même les objets d’or et d’argent ne doivent être livrés par le commerce qu’après avoir subi les essais et le poinçonnage de la garantie ; mais comme le contrôle se paie, et que bien des marchands ne se gênent guère pour se soustraire aux mesures fiscales, une brigade volante de douze contrôleurs est chargée de visiter toutes les boutiques, tous les magasiné où sous une forme quelconque on

  1. Une de ces bigornes ayant été volée en 1846 par un employé du bureau, M. Barre père dut modifier le type primitif en ajoutant des ornemens aux bandes de séparation, qui antérieurement étaient lisses.