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établissemens. Rien ne serait plus convenable que d’assurer des retraites à ces humbles travailleurs qui manient avec probité et en détail la richesse monétaire du pays, de leur procurer, en cas de maladie ou de blessures, les soins gratuits d’un médecin payé par l’administration, de leur faire distribuer à prix coûtant des médicamens par la pharmacie des hôpitaux, en un mot de les attacher à leur dur métier, de récompenser leur labeur par une sorte de bénéfice moral plus envié et plus recherché parfois que le bénéfice matériel. L’état est père de famille ; il exige beaucoup, sous bien des rapports il exige trop, et jamais cependant on ne marchande les sacrifices qu’il réclame ; ne doit-il pas, partout où il apparaît, amener avec lui le bien-être et la moralisation ?

Il est une amélioration d’un autre ordre qui intéresse l’humanité tout entière, à laquelle on travaille depuis bien des années déjà, et qui, l’on peut en être certain, rencontrerait l’unanime assentiment de la commission. Il faut doter le monde d’une monnaie internationale, uniforme, acceptée par tous, garantie chez tous les peuples par une loi semblable et consentie. Cette idée, si simple qu’on s’étonne de ne pas la voir appliquée, a souvent été mise en avant par la France. Dès le 8 mai 1790, M. de Bomay proposait un décret par lequel Louis XVI serait supplié d’engager le parlement anglais, à établir l’égalité des poids, mesures et monnaies avec la France. Quelques nations, nous les avons nommées, ont adopté le système décimal ; mais combien sont réfractaires encore, et comment se fait-il que dans les traités de paix on n’ait jamais songé à introduire une clause relative à l’unité des monnaies ? N’est-il pas puéril qu’à notre époque, par un temps de chemins de fer et de télégraphie électrique, quand on dépense avec raison des millions pour obtenir un peu plus de rapidité dans les communications, les différens états, par suite d’un orgueil mal compris, d’habitudes surannées qu’on n’ose détruire, de paresse et d’insouciance, gardent une diversité de systèmes monétaires qui est préjudiciable à toutes les transactions et semble inventée tout exprès pour enrichir des banquiers habiles ? Qui pourrait croire qu’aujourd’hui l’Europe emploie plus de 200 variétés de poids et de mesures, qu’elle compte le temps à l’aide de trois calendriers qui n’ont aucun rapport entre eux, et que son commerce use de 93 monnaies d’or et de 135 monnaies d’argent qui n’ont de commun ni le titre ni le poids ? Cinq types de pièces d’or, cinq d’argent, quatre de bronze, peuvent facilement suffire à tous les besoins. Arrivera-t-on à s’entendre sur ce sujet, qui tient aux intérêts les plus précieux des nations ? Il faut le croire ; mais on peut reconnaître que, si le progrès ne s’arrête jamais, sa marche est parfois d’une lenteur désespérante.


MAXIME DU CAMP.