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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/848

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binet[1]. Cuvier le cite avec une sorte d’indignation en répondant à Lamarck. M. Flourens se borne à le mentionner dans le livre qu’il a consacré à l’examen de la théorie de Darwin. Ces dédains sont certainement justifiés. Pour quiconque entend rester fidèle à la véritable science, Robinet est avant tout un rêveur qui, croit pouvoir résoudre tous les problèmes possibles en vertu de quelques idées a priori présentées comme autant de principes indiscutables. Je ne le suivrai pas dans les détails d’un système qui embrasse l’ensemble des choses, je me bornerai, à indiquer la manière dont il conçoit la question de l’espèce et de l’origine des êtres, y compris celle de l’homme. Robinet distingue Dieu du monde, la nature incréée de la nature créée. Celle-ci est un tout continu, formé d’existences variées ne laissant place à aucune lacune, à aucune interruption. La nature ne va jamais par sauts, dit-il avec Leibniz et Bonnet, et cette loi de continuité qu’il poursuit jusque dans ses conséquences les plus extrêmes, le conduit tout d’abord à nier la distinction entre la matière brute et la matière organisée. Pour lui, toute matière est vivante. Elle est entièrement composée de germes d’où proviennent toutes choses, les corps que nous appelons bruts comme les êtres organisés et vivans. La génération n’a d’autre but que de placer un certain nombre de ces germes dans des conditions favorables de développement. Quand un germe se développe, il ne fait que s’adjoindre les germes voisins, dont il compose la substance de l’être complet, et auxquels il rend la liberté quand cet être meurt. Ces germes sont capables de réaliser toutes les formes possibles, dont ils sont le raccourci ; mais ils sont au fond de même nature, car, s’il en était autrement, il y aurait un de ces sauts qu’on ne saurait admettre. Par conséquent il n’existe en réalité qu’un seul règne, et ce règne est le règne animal. Tout dans l’univers relève de l’animalité, les plantes, les minéraux et même les élémens admis par les anciens. La terre, le soleil, les astres, sont autant d’animaux immenses dont la nature nous échappe à raison de leur étendue même et de la forme sous laquelle l’être, s’est ici réalisé. Dans ce règne universel, et toujours en vertu de la loi de continuité, il ne peut exister que des individus. L’espèce des naturalistes n’est qu’une illusion tenant à la faiblesse de nos organes. Incapables de saisir les différences minimes qui seules séparent l’un de l’autre les anneaux de l’immense chaîne, nous comprenons sous la dénomination d’espèce la collection des individus qui possèdent une somme de différences appréciables pour nous. Les idées de genres, de classes, de règnes, sont nées de la

  1. De la Nature (1766) ; — Considérations philosophiques de la graduation naturelle des formes de l’être, ou les Essais de la Nature qui apprend à faire l’homme (1768).