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et prenait souvent l’offensive dans de rudes brochures écrites de verve, un peu grossièrement, et pour la plupart anonymes ou pseudonymes ; plusieurs abbés des pays voisins lui prêtaient volontiers leurs noms. Un jour une de ces brochures, un peu trop virulente, fut saisie par l’autorité, qui confisqua jusqu’aux feuilles maculées des épreuves. Quand l’imprimeur porta sa note au bouillant abbé : « Allez demander votre argent aux magistrats, répondit Vuarin ; qui casse les verres les paie. » Tel était l’homme ; il ne méritait pas l’oubli dans lequel il est tombé. Son histoire est celle du catholicisme à Genève dans les quarante-trois premières années de ce siècle. Ce fut lui qui le premier, en 1836, lança ses paroissiens dans la politique, Il refusa plusieurs évêchés pour rester dans sa cure, sous les armes, et vécut ainsi de longues années, détesté à Genève, mais adoré ailleurs et au loin. Ce fils de paysan connaissait tous les rois et reçut des brefs de trois papes. Dans ses derniers jours, frappé d’apoplexie, il eut peur du diable ; mais il finit par se rassurer et mourut bien. Avant lui, c’est à peine si une soutane, de loin en loin, osait se montrer à Genève. A ses funérailles figurèrent des milliers de catholiques, deux cents prêtres, deux évêques, et la cité de Calvin, parfaitement tranquille, laissa passer le convoi.

Cependant, malgré ce résultat obtenu par l’adoucissement des mœurs, le catholicisme n’avait pas encore fait de grands progrès à Genève. L’abbé Vuarin avait eu affaire à forte partie ; les Genevois, de tout temps menacés et forcés de se défendre, ont l’esprit défiant et l’œil ouvert. Ils opposaient la force à la force, la diplomatie à la diplomatie. Le belliqueux abbé fut battu par eux dans deux campagnes importantes, celle qui aboutit à l’agrandissement du territoire genevois et celle qui amena l’annexion de Genève au diocèse de Lausanne. Cet agrandissement de territoire avait été réclamé par les Bernois comme condition de l’entrée de Genève dans la confédération helvétique. La petite ville, serrée de trop près par les Français et les Savoyards, avait besoin de les écarter un peu pour dormir en paix ; mais les Genevois n’étaient pas tous contens d’agrandir ainsi leur république : les communes qu’on leur offrait ou qu’on réclamait pour eux étaient soumises au rite romain. « Messieurs de Genève, dit à ce sujet Talleyrand, ont désenclavé leur territoire, mais ils ont enclave leur religion. » Comme un de ces « messieurs » disait à ce diplomate : « Eh bien ! vous nous avez donné les catholiques ! ». le diplomate repartit : « Ou nous vous avons donnés à eux ! » L’abbé Vuarin était opposé à ces annexions ; il craignait pour les communes réunies la prépotence et la propagande protestantes. De plus il était bon Savoyard, et ne voulait pas que son village de Collonges-Archamp devint genevois ; mais,