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la fabrique ni surtout parmi les monteurs de boîtes, associés entre eux depuis longtemps. On sait que l’industrie de ces derniers, florissante autrefois, est encore importante, bien qu’elle ait baissé sous le régime radical. « Partout où le peuple règne, disait M. Fazy, on est laborieux et dissipé. » Plus dissipé que laborieux, pourrions-nous répondre. L’agitation politique, la vie de cercle et de club, les réunions électorales, le temps perdu pour faire des discours et pour écouter ceux des autres, les libations qui préparent les campagnes, les libations qui précèdent les combats, les libations qui consolent des revers ou qui célèbrent les triomphes, tout cela devait encourager la dissipation plutôt que le travail. Aussi la fabrique allait-elle fort mal, surtout dans les années trop nombreuses où l’Europe, l’Amérique en feu, n’achetaient que du plomb. Cependant l’Association internationale a peu profité des mauvaises affaires. Elle compte à Genève sur le papier de deux à trois mille adhérens, en grande partie étrangers : nombre d’entre eux partent avec les hirondelles, colportant ailleurs leurs idées sur la propriété collective et leurs déclamations contre l’infâme capital. Il s’est formé toutefois un nouveau parti, celui des « radicaux progressistes, » qui, n’acceptant pas M. Fazy pour leur chef, demandent ouvertement la république démocratique et sociale. Dans leur programme, où toute sorte d’idées poussent pêle-mêle, ils réclament, en attendant, l’impôt unique, la séparation de l’église et de l’état, « l’instruction gratuite et obligatoire à tous les degrés ; » tout fils d’ouvrier sera forcé de devenir licencié ès-lettres et ès-sciences. Seulement, comme la durée de ces études pourrait nuire aux intérêts des familles pauvres, des indemnités pécuniaires seront accordées par l’état aux parens. Ce badinage n’a pas eu beaucoup de succès à Genève. Les radicaux progressistes ont voulu, comme les ultramontains, avec lesquels ils ont plus d’idées communes qu’ils ne croient, présenter une liste aux élections du 15 novembre 1868. Ils n’ont pu obtenir dans le collège de la ville qu’une centaine de voix. Le socialisme a été battu par la liberté seule.

Le parti indépendant, qui a triomphé dans cette dernière lutte comme dans les précédentes, est, selon les radicaux, une coalition d’intérêts très divers, d’hommes et d’idées, de castes et de principes qui ne sont nullement d’accord entre eux. C’est peut-être vrai, mais c’est là sa force. Ce parti représente la ville entière. Une caste s’était perpétuée au pouvoir. En 1846, elle fut violemment remplacée par une autre ; depuis 1864, l’une et l’autre siègent ensemble dans les conseils. Comme le corps législatif, le corps exécutif réunit des hommes de tous les rangs. Ce n’est plus l’aristocratie ni la plèbe, c’est le peuple entier qui est le souverain. Jusqu’en