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trône sur un piédestal l’agneau divin, la gorge ouverte, tel que le vit le prophète, et de cette blessure féconde coule dans un calice éternellement rempli, éternellement vidé, ce sang rachat du monde. Le nom du malencontreux chanoine qui eut l’idée, vers la fin de l’empire, de remettre entre les mains d’un brocanteur une partie de cette œuvre vraiment sainte mériterait d’être accolé à quelque injurieuse épithète tant qu’il y aura un diocèse de Gand, car il commit un vrai crime contre la dignité de la science que représente le sacerdoce. Jamais en effet la théologie pure, non mêlée au drame historique et humain du christianisme, n’a produit rien d’aussi grand : c’est même la seule peinture que l’on puisse appeler théologique ; toutes les autres qui représentent des sujets empruntés au monde spirituel, tels que les mariages mystiques, les couronnemens de la Vierge, touchent à un ordre d’idées et d’affections qui ont déjà quelque chose d’humain.

Ainsi le coloris de cette œuvre est éblouissant, le paysage en est d’une originalité unique, la conception en est d’une grandeur et d’une profondeur admirables. Est-ce tout ? Oh que non pas ! Approchez maintenant pour contempler ces groupes de saints, de prophètes et de docteurs qui débouchent aux quatre côtés du paysage, allées couvertes par des bosquets qui semblent fleurir sur leur passage, tant les roses en sont d’une fraîcheur éclatante. Vous restez confondu de la perfection patiente de cette peinture ; cela est rendu avec la minutie des Hollandais les plus renommés. Un Van Ostade, un Gérard Dow, un Miéris, n’ont jamais achevé une des petites figurines de leurs tableautins avec une patience plus amoureuse. Aucun de ces détails infimes qui peuvent caractériser une physionomie individuelle n’a été omis ; ces personnages sont autant de portraits pris dans la plus vivante réalité. Approchez encore, une dernière surprise, la plus admirable de toutes, vous attend. La conscience de l’artiste l’emporte en scrupules sur les consciences de tous les artistes passés et probablement à venir. Vous vous apercevez que les figures placées dans ces groupes sur les derniers plans ont été peintes avec autant d’amour que les figures des premiers plans, et non-seulement l’artiste amis le même, soin à rendre leurs physionomies, mais chacune d’elles est sortie d’une méditation particulière, chacune d’elles exprime une variété, une nuance des sentimens d’amour et de piété. Voilà certes, pensez-vous, une dépense de travail et de méditation bien inutile, car le tableau ne serait pas moins beau, si l’artiste s’était borné aux figures des premiers plans et n’avait compté les autres que pour faire groupe. Un artiste des âges postérieurs n’y aurait pas manqué, et se serait épargné une peine dont pas un spectateur sur cent