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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/920

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si les sentimens moraux ne se lisent pas sur les visages, la représentation en va confiner à la plus extrême vulgarité. C’est même cette laideur physique qui rend si touchante l’expression de Van Eyck et d’Hemling, car, la vie morale n’ayant point à entrer en lutte sur ces visages avec la beauté, l’âme y joue d’autant plus à l’aise et s’y remarque d’autant plus, de même que la lumière rayonne mieux et montre mieux son charme propre sur une plaine aride que dans un paysage richement accidenté. C’est encore là ce que comprit à merveille Quentin Matsys. Il y a différens degrés dans la vie morale, et la passion peut tenir lieu de la ferveur au moins pour éviter l’écueil de la sécheresse réaliste. Enfin le système de composition de Jean Van Eyck, qui ne consent à sacrifier aucun personnage, et qui donne la même importance à toutes les parties du tableau, se prête surtout à l’expression des sentimens lyriques de l’âme, mais nullement à l’expression des sentimens dramatiques, qui exigent forcément le sacrifice de telle partie à telle autre, la subordination de tel personnage à tel autre. Ces nombreuses figures du tableau de l’Agneau mystique sont autant d’odes et de prières vivantes, elles ont pu être toutes traitées avec le même soin, parce qu’elles expriment toutes un même sentiment d’essence lyrique, l’adoration ; mais il est plus difficile d’appliquer le même système de composition à un sujet de nature dramatique, la Passion par exemple. De là, chez tous les maîtres primitifs, la supériorité des tableaux dont le sujet est mystique sur ceux dont le sujet est pathétique. Lors donc que les préraphaélites accusent l’art qui a succédé à Van Eyck d’être moins chrétien que le précédent, ils se trompent : il y a toute une partie du christianisme que cet art primitif ne peut rendre avec supériorité, la partie humaine, historique, dont se sont emparés comme d’un champ nouveau les artistes de la renaissance.

Avant de quitter le chef-d’œuvre de Van Eyck, je dois consigner une observation qui se rapporte à la riche pelouse de gazon que foulent ses docteurs et ses saints. Une des plus vives satisfactions que j’aie éprouvées durant ce voyage de Flandre, c’est le nouveau témoignage qu’il m’a donné de la sincérité des grands artistes. Une foule de détails qui semblent s’écarter de la nature et que de loin on est disposé à attribuer, selon les cas, soit à une gaucherie archaïque, soit à une vicieuse disposition de l’œil, soit à un caprice d’imagination du peintre, vous révèlent tout à coup leur parfaite exactitude. Certes, s’il est un paysagiste qui paraisse capricieux, c’est bien Breughel de Velours ; cependant un soir, à l’Harmonia d’Anvers, j’ai vu tout à coup s’étendre sur les allées du jardin cette brume bleue pareille à du petit lait réduit en vapeurs dont il enveloppe ses paysages, et qui se marie d’une manière si étrange avec