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gères, peut-être, de la dissolution du sultanat de Constantinople, dissolution que la sagesse humaine aura grand’peine à empêcher, verrait-on se former sur le bas Danube une puissance intermédiaire chrétiennement organisée et suffisamment forte au point de vue militaire, laquelle, par son seul poids, épargnerait bien des soucis aux grands juges de paix européens. Si l’on considère quelles idées sont répandues depuis cent ans dans l’immense triangle illyrien, quelles espérances et quelles sympathies s’y sont formées, comme les intérêts particuliers s’y subordonnent d’eux-mêmes aux intérêts généraux, comme les choses finissent toujours par y triompher des phrases, il n’est pas besoin d’être prophète pour apercevoir les germes des complications politiques les plus sérieuses dans le sol de la Serbie et des pays qui lui tiennent par les liens du sang, après que les décombres turcs auront été entièrement balayés. » Voilà des vues hardies ; ajoutons à notre tour qu’il n’est pas nécessaire de concevoir de telles pensées pour suivre avec intérêt les développemens de la principauté slave ; c’est assez que les Serbes puissent être appelés par les événemens de l’avenir à figurer dans une fédération qui mettrait fin aux embarras de l’Orient. Or, bien que ces questions intéressent toute l’Europe, il faut reconnaître que la nouvelle Autriche y est particulièrement engagée. Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est point là une chimère.

Aussi ressentons-nous un vrai plaisir à voir de sérieux esprits de l’Autriche allemande entrer dans cette voie. C’est l’impression que nous avons éprouvée en lisant les Etudes sur la Bosnie et l'Herzégovine par M. Jean Roskiewicz, officier d’état-major dans l’armée autrichienne, et surtout le beau travail que M. F. Kanitz vient de publier sur la Serbie. Je me garde bien de mettre ces deux livres sur le même rang ; je dis seulement que, malgré l’inégalité de mérite, ils appartiennent tous deux à un même ordre de recherches, et que ces recherches sont un heureux symptôme. M. Roskiewicz a séjourné quinze mois dans la Bosnie et l’Herzégovine, il les a parcourues dans tous les sens, il a vu de près les Serbes musulmans, les Serbes orthodoxes, les Serbes catholiques ; il a observé les mœurs, les institutions, et ses notes de chaque jour sont devenues un livre. Quel sentiment l’a soutenu ? L’idée que ces contrées si peu connues joueraient tôt ou tard un rôle important. Voilà pourquoi, tout en marquant d’un trait rapide le caractère et les habitudes du peuple, il s’attache surtout à décrire les lieux, les routes, les passages, à faire connaître les ressources militaires. Cet observateur est un officier d’état-major, et ce tableau d’un pays est surtout un rapport stratégique.

Tout autre est l’ouvrage de M. Kanitz ; on peut l’appeler un mo-