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condamner les fantasques arrêts des magistrats rzviseurs ? il faut un peu leur tenir compte de l’étendue et des difficultés de leur tâche : ils avaient à reconnaître leur route dans une forêt très épaisse et, comme c’était la première fois que s’appliquait le nouveau régime électoral, dans une forêt vierge. Quelques centaines de noms furent ainsi élagués des listes dans la plupart des grandes localités. Tous ceux au contraire qui résistèrent victorieusement à cette épreuve de la registration étaient désormais investis du droit de vote.

Une autre question que celle des lodgers donna lieu à de grands embarras et à des jugemens qui se contredisaient les uns les autres. C’est la female franchise ou le suffrage des femmes. Le lendemain de la fameuse proposition de M. Stuart Mill, rejetée, on s’en souvient, par le parlement, une lettre avait paru dans le Times, déclarant que cette proposition était inutile, et que le point en litige se trouvait déjà résolu par la loi. Que disait le reform act de 1867 ? « Toute personne, every man, qui acquitte certaines obligations et supporte certaines chargera le droit de voter. » Or ce qu’on appelle en Angleterre le construction act décide d’un autre côté que toutes les fois que les femmes ne sont pas nominalement exceptées, elles se trouvent par cela même comprises dans les dispositions légales et les statuts de l’état qui régissent les hommes. Appuyées sur ces argumens, 5,346 femmes réclamèrent à Manchester le privilège d’être inscrites sur le livre des électeurs. Dans les comtés de Middlesex et d’East Kent, dans les bourgs de Westminster et de Marylebone, dans presque toutes les localités importantes, des aspirantes au vote assiégèrent la cour des revising barristers. S’il fallait en croire certaines caricatures anglaises, la figure et les manières des postulantes n’auraient point été étrangères au succès ou à la déroute de leurs prétentions. Les jeunes, les jolies, auraient parfois attendri le cœur des magistrats, tandis que les vieilles, les laides, celles qui portaient des lunettes et des bas bleus, auraient été partout accueillies avec une indifférence glaciale. Je ne crois nullement que les graves barristers aient obéi à ce genre de considérations. Ce n’est point ici le lieu ni le moment de discuter les raisons en faveur du suffrage des femmes. M. Stuart Mill l’avait fait devant la chambre des communes avec une force de logique et une ampleur de langage qui imposèrent silence à ses adversaires eux-mêmes. Plusieurs se demandent cependant si l’intervention de l’autre sexe dans les affaires du pays avancerait beaucoup les intérêts de la cause libérale. On raconte qu’un candidat conservateur dans un comté de l’Angleterre où jusque-là son élection n’avait aucune chance de succès eut tout à coup l’idée de convoquer un meeting de femmes. Comme il était jeune et beau garçon, qu’il se