Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/975

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assemblée, il faudra qu’elles gagnent leur cause auprès de l’opinion publique.

Dès que le nombre des électeurs fut connu et que leurs droits eurent été en quelque sorte consacrés par l’enregistrement, registration, commença partout en Angleterre la grande lutte des partis politiques. Tous les moyens imaginables de publicité sont mis à la disposition de chaque candidat. Un suffrage, fût-il universel, serait considéré par nos voisins comme une moquerie et une déception, s’il ne se trouvait en même temps entouré des vraies et solides garanties que réclame la liberté. On ne connaît point chez eux de réunions autorisées ni de réunions illégales ; un droit autorisé est un abus de mots dont rirait le bon sens de John Bull. Est-ce à dire que les meetings politiques soient plus libres durant les élections qu’aux autres temps de l’année ? Non, ils sont seulement beaucoup plus fréquens. Les candidats parcourent toute l’étendue de leur circonscription, s’arrêtant dans les villes et même les villages, où leur arrivée et le jour de la réunion sont annoncés par une affiché. Ces meetings sont quelquefois orageux ; le plus souvent tout s’y passe avec ordre. L’orateur est interrogé après son discours par quelques-uns des commettans dont il sollicite les suffrages. En Angleterre, le mandat est impératif. On ne vote point pour du contre le gouvernement, on vote pour ou contre certaines questions très bien définies sur lesquelles le candidat est tenu d’engager d’avarice sa parole. Un tel examen est même dans certains cas poussé trop loin : c’est ainsi que la candidature de M. Charles Gilpin fut un moment menacée, parce qu’il refusait de se déclarer en faveur du permissive bill[1]. Les inconvéniens d’une telle conduite sautent aux yeux. Il se peut qu’on éloigne des affaires publiques pour une objection très secondaire dès hommes dont les services seraient utiles au pays. Mieux vaut pourtant après tout cette susceptibilité exagérée que l’apathique et aveugle confiance des électeurs se rangeant en silence autour d’un nom. Il faut d’ailleurs ajouter que dans le très grand nombre des collèges (constituencies) les candidats avaient à se prononcer sur des questions majeures, l’extinction de l’église d’Irlande, le gouvernement à bon marché, l’éducation gratuite et obligatoire. Ces meetings électoraux sont les grandes écoles politiques de l’Angleterre : ils ont pourtant un tort, c’est de n’admettre dans la même salle et à la même heure que les représentans d’une même opinion. Il en est surtout ainsi de la part des tories, qui, effrayés sans doute par le bruit de la contradiction,

  1. Les sociétés de tempérance voudraient que le gouvernement prohibât la vente des liqueurs fortes, et, sous le titre de permissive bill, invoquent une loi que beaucoup trouvent contraire à la liberté.