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un vote ? Il est très certain que l’électeur se trouve circonvenu de mille côtés, et que plus d’une conscience a été surprise par des obsessions réitérées. Beaucoup qui ont donné leur parole dans un moment de faiblesse ou d’étourderie tiennent ensuite à ne point la retirer. L’Anglais, même quand il se trompe ou quand il n’agit point tout à fait d’après sa manière de voir, y regarde à deux fois avant de rompre un engagement. Jusqu’ici pourtant, ce mode de canvassing est relativement honnête en ce sens que les services des solliciteurs de votes sont désintéressés ; mais il en existe un autre beaucoup plus injustifiable. Grâce sans doute à une longue expérience, l’art de séduire les électeurs est devenu en Angleterre une science, un métier. La brigue a ses règles, ses agens, ses habitués. « Ouvrez-moi les cordons de votre bourse, et je vous ouvrirai l’entrée du parlement, » dit à un jeune homme riche et ambitieux l’un des courtiers électoraux connus sur la place. Tout le monde désavoue ces pratiques, tout le monde les condamne, et pourtant il y a peu de candidats qui aient le courage de leur échapper entièrement. Pourquoi ? C’est que dans une guerre il est difficile de ne point faire ce que fait l’ennemi. « Désarmez, disent les uns, et nous désarmerons. — Après vous, » répondent les autres. Il y a peu d’espoir que l’exemple vienne du côté des tories. On compte sans doute parmi eux des hommes de talent qui rougiraient de devoir leurs succès à d’indignes manœuvres ; mais la masse, fidèle à d’anciens usages, compte beaucoup moins sur la publicité, les meetings, les discussions à ciel ouvert, que sur l’influence personnelle et les menées occultes. Le seul moyen de couper court aux abus de la brigue serait de proscrire entièrement le canvassing. Ce système a d’ailleurs l’inconvénient de préjuger l’issue de la lutte. De part et d’autre, les candidats se vantent avec assurance du nombre de promesses qu’ils ont reçues. N’était l’inconnu qui se glisse plus d’une fois entre là coupe et les lèvres, les élections seraient décidées bien avant le grand jour du scrutin[1].

On avait certes le droit de s’attendre à ce que les dernières élections ne fussent point ternies par de douteuses pratiques. Une loi du 31 juillet 1868 avait aggravé la pénalité contre les agens de corruption. Tout candidat ou tout électeur convaincu de ce que les Anglais appellent bribe se trouve, par le fait même, frappé d’incapacité légale. Pendant sept années, il ne peut ni être élu membre

  1. Une méthode toute récente contribue on outre à dévoiler le secret des votes. Les comités des deux opinions militantes adressent aux électeurs une circulaire avec une enveloppe revêtue d’un timbre-poste. Sur cette circulaire, chacun d’eux est prié d’écrire oui ou non, selon qu’il entend voter ou ne pas voter pour le candidat désigné à son suffrage.