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ouvrier dit alors le mort de la journée. « électeurs de Greenwich, s’écria-t-il, vous venez de nommer le premier ministre de l’Angleterre. » Cette nomination fut confirmée le lendemain par l’inscription des votes, et le chef du parti libéral avait désormais un port de refuge en cas de naufrage.

Rien n’est plus amusant que de lire dans les journaux anglais le récit des élections, surtout quand on a soi-même assisté à la bataille. S’agit-il d’un candidat tory, les organes de cette opinion déclarent que le champion de la bonne cause a été salué avec enthousiasme par ses dévoués partisans. Quant au représentant du parti libéral, il a été accueilli par les applaudissemens d’un affreux mob[1]. Il est à citer qu’à part la couleur des rosettes c’est dans les deux cas la même multitude exprimant ses sympathies ou ses aversions par des signes absolument semblables. Dieu me garde de médire du parti conservateur en Angleterre ! Beaucoup de nations qui ont fait parler d’elles dans le monde pour leurs nobles élans vers la liberté, quelques-unes même qui auraient mérité de l’atteindre, seraient aujourd’hui trop heureuses d’avoir à la tête de leurs affaires des hommes aussi éclairés que M. Disraeli et aussi exempts de préjugés que lord Stanley. On très grand nombre de tories se distinguent en outre par leur éducation et leurs manières ; mais ce ne sont pas précisément ceux-là qu’on rencontre en majorité autour des hustings. Quant aux partisans plus ou moins intéressés qu’ils recrutent en temps d’élections dans les couches inférieures de la société, c’est la lie de la population anglaise. Il y a, pour qu’il en soit ainsi, une raison assez simple. Les vrais ouvriers appartiennent d’instinct et de conviction aux idées libérales. Tous les efforts qu’on a faits depuis quelques années pour les enrôler sous le drapeau des classes influentes ont été couronnés de très peu de succès. Il est plus facile d’attirer à une cause des mercenaires que de lui gagner des alliés. Aussi, dans les grandes villes, l’aristocratie est-elle obligée de descendre très bas, vers les industries parasites et déclassées, pour y trouver des satellites. Vainement les tories se vantaient-ils d’avoir donné au peuple un suffrage plus étendu que ne l’avaient d’abord proposé leurs adversaires ; tout ce qu’avait fait M. Disraeli avait tourné en réalité au profit de M. Gladstone. Était-ce justice ? Oui et non. Le cabinet avait eu le tort de marchander ses concessions. Les dispositions de la loi qui étaient vraiment en faveur des ouvriers avaient été enlevées de haute lutte par les chefs du parti libéral. Comment s’étonner en ce cas de leur popularité ? Il faut avoir suivi les

  1. Contraction de mobile vulgus.