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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/1044

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REVUE MUSICALE.




« J’étais un soir dans les coulisses de l’Opéra de Berlin, pendant qu’on représentait le quatrième acte des Huguenots, et fus témoin du manège assurément très curieux auquel se livrait une fort célèbre et fort applaudie cantatrice du temps, pour se monter à la hauteur du fameux duo de Valentine avec Raoul. C’était, dans sa plus violente expression, l’extravagance du goût dramatique moderne. Elle s’animait, s’échauffait, se ruait au combat, n’y tenait plus. Ses cheveux, où la main d’un artiste coiffeur avait pourtant su répandre un beau désordre, ne lui semblaient point assez épars, elle y fourrageait avec délire, et par les gestes et les mouvemens extérieurs de la passion se préparait à la passion. L’instant venu, elle se précipita d’un bond sur la scène, dit le morceau avec un tel déchaînement de pathétique et de furie que l’orage de cette voix et de cette pantomime amena aussitôt dans la salle un immense tonnerre d’applaudissemens. À partir de ce soir-là, mon opinion fut fixée sur cette prétendue grande artiste ; qui n’était au fond qu’une nature impuissante et froide, condamnée à tirer du dehors l’expression de ce qu’au dedans elle ne ressentait pas. Cette femme était pour moi la représentation vivante et complète de la musique de Meyerbeer, et en même temps de cette passion musicale dans le goût d’aujourd’hui dont on ne trouve, grâce à Dieu, aucune trace chez les classiques, ce qui fait qu’aux yeux de beaucoup d’imbéciles et de philistins nos classiques passent généralement pour des esprits frappés de sécheresse. » Ces paroles d’un très ingénieux et très docte amateur allemand dont nous n’avons point à discuter la justesse en ce qui touche l’art de Meyerbeer nous revenaient à la mémoire au sujet de Mlle Hisson. C’était aussi pendant le quatrième acte des Huguenots, et tout en assistant à ces débuts si judicieusement différés, — que dans l’intérêt même de cette jeune femme il eût mieux valu retarder encore, — nous déplorions ce luxe de voix et de gestes, cette incessante frénésie, cet effort continu vers un effet qui ne se produit pas et ne saunait se produire, puisque toute cette grande émotion n’est qu’au dehors, et qu’au-dedans la vraie intelligence et la vraie flamme font défaut. L’art au théâtre n’est point de montrer une passion qu’on ne ressent pas ; il s’agit au contraire d’avoir en soi plus de passion qu’on n’en laisse voir. Une cantatrice dont le rapide passage sur la scène de l’Opéra ne fut pas sans gloire, la Cruvelli, avait de ces intempérances : on la voyait avec regret se dépenser à tout propos, se monter la tête en pure perte, et, comme on dit, se battre les flancs ; mais la Cruvelli était une artiste, et même alors qu’elle outre-passait la situation, au plus fort de ses excès de pantomime, sa voix splendide et superbe ne succombait pas.