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rien qu’un art d’occasion et d’imitation, sans souffle et sans vie, n’ayant en vue que le présent, qui déjà l’abandonne ! Comment en un pareil état de choses hésiter un seul instant et ne pas courir vers l’idéal, fût-ce au travers des dissonances ?


F. DE LAGENEVAIS.



ESSAIS ET NOTICES.

La Chasse et le Paysan, par M. Honoré Sclafer ; 1 vol. in-18.


La manie de protection de notre temps est devenue si grande qu’elle s’est étendue jusqu’aux bêtes. On exagère chaque jour pour les animaux de bonnes intentions qui tournent presque au ridicule. Jamais ce qui se dit, ce qui se lit, ce qui s’imprime sur cette matière n’a causé plus d’étonnement parmi les vrais campagnards. C’est donc un plaisir de signaler de temps à autre une protestation écrite par quelqu’un qui sache ce que c’est que l’agriculture et la chasse.

Le livre de M. Sclafer a justement ces qualités ; c’est de plus un livre amusant. Les pages en respirent un sentiment vrai de la nature et un profond amour des lieux où s’est passée presque toute la vie de l’auteur. Il faut voir avec quelle verve M. Sclafer nous décrit les paysages du Bordelais, les champs, la mer, la fraîcheur des eaux unie à la fraîcheur des bois, et ces chasses sans nombre qui font de lui l’émule des plus habiles braconniers. M. Sclafer ose en faire l’aveu, il est braconnier dans l’âme ; il méprise les battues, il estime peu les vains plaisirs de la chasse en plaine, il est insensible aux éclats de la voix des chiens dans la chasse au bois. Il est au contraire de ceux qui, familiers avec tous les détours de la forêt, savent placer un collet dans les coulées, qui, la nuit, à l’aide de panneaux, tentent des razzias dans la plaine, qui, au lever du jour, attendent le retour du lièvre sur la lisière des taillis, qui, postés sous la futaie au crépuscule, surprennent les ramiers et les corbeaux venant à la branchée. Disons-le en passant, bien en prend à M. Sclafer de n’être pas un pauvre diable : son livre est tout au moins une excitation au braconnage, non pas au braconnage sur le terrain d’autrui, qui est condamné par tout le monde, mais à la destruction du gibier en temps défendu ou à l’aide d’engins prohibés. La thèse que soutient l’auteur est celle-ci : laissez chasser le paysan, vous n’avez aucune raison valable pour le priver d’un droit qui, à mes yeux, est un droit naturel ; laissez-le détruire comme il l’entend, et par tous les moyens dont il peut disposer, ce qu’il lui convient de détruire. Ne dites pas que Von arrivera de la sorte à l’extermination complète du gibier. Si elle a lieu, elle tiendra à de tout autres causes.

Selon M. Sclafer, ce que l’on appelle vulgairement braconnage n’est qu’une cause très secondaire de la diminution du nombre des lièvres,