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à la déclaration politique de l’empereur n’avait en réalité aucun chef. Ce fut le hasard qui lui donna pour principaux organes le cardinal Fesch, le propre oncle de l’empereur, M. de Boulogne, évêque de Troyes, dont les harangues adulatrices avaient tant de fois charmé les habitués de la chapelle des Tuileries, et le respectable archevêque de Bordeaux, M. d’Aviau, l’homme le plus étranger aux passions des partis. En sa qualité de président du concile, le cardinal Fesch avait dû officier pontificalement, et, sur la désignation de ses collègues, M. de Boulogne avait été chargé de prononcer le sermon d’usage, dont il avait préalablement donné connaissance à quelques membres du concile, particulièrement au président. Le cardinal l’avait aussitôt porté lui-même à l’empereur; mais celui-ci, d’ordinaire fort attentif à regarder aux paroles qui devaient être publiquement débitées en chaire, n’avait pas eu le temps de prendre lecture du discours de M. de Boulogne; il se contenta de demander à son oncle s’il lui en répondait. Le cardinal affirma que deux ou trois passages seulement lui avaient paru pouvoir prêter à de fâcheuses interprétations; il les avait signalés à l’orateur du concile, qui lui avait positivement promis de les supprimer. L’empereur, plein de confiance dans les bonnes dispositions à lui connues de l’évêque de Troyes, se tenait donc pour assuré qu’il ne risquait pas de lire dans le Moniteur, au lendemain de cette cérémonie, aucune phrase qui fût de nature à lui déplaire.

Cependant l’occasion était solennelle. Un imposant auditoire remplissait le chœur de la cathédrale. Les évêques, mitre en tête et leur bâton pastoral à la main, en occupaient toutes les stalles. Au-dessous d’eux étaient assis les ecclésiastiques qui leur servaient de théologiens ou d’aumôniers. Les tribunes supérieures avaient été réservées pour les dames et pour les laïcs de distinction; une foule compacte, débordant jusque sur les bas-côtés, avait envahi la nef immense. Quelle effrayante responsabilité allait peser sur M. de Boulogne, qui passait, non sans raison, pour le premier prédicateur de son temps! Le cardinal Maury, qui s’y connaissait, avait caractérisé la situation du malheureux orateur en s’écriant : « Je ne sais s’il s’en tirera, mais c’est un véritable casse-cou qu’un pareil discours. » Animé par le spectacle qu’il avait sous les yeux, jaloux sans doute de répondre à l’attente générale, ou plutôt peut-être désireux de donner satisfaction à sa conscience de prêtre et de protester, au nom de l’église à laquelle il appartenait, contre le mépris avec lequel elle venait d’être traitée, M. de Boulogne oublia complètement, dans la chaleur de son débit, la promesse faite au cardinal Fesch. Quel ne fut pas l’émoi, la terreur même, nous ne croyons pas qu’il faille ajouter le regret du président du concile et des évêques qui avaient eu connaissance du manuscrit de l’orateur,