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la doctrine générale et d’en indiquer quelques-unes des principales applications.

Constatons d’abord les limites entre lesquelles Darwin a très formellement circonscrit le champ de ses recherches ; il se distingue par là de quelques-uns des écrivains dont on l’a souvent rapproché. Robinet et de Maillet rattachaient leurs spéculations à tout un système de philosophie ou de cosmogonie. Lamarck omettait, il est vrai, ce dernier point de vue ; mais il cherchait à expliquer la nature même de la vie, admettait des générations spontanées, continuelles, et trouvait dans les êtres simples journellement engendrés le point de départ des organismes animaux et végétaux actuels et futurs. En outre il s’efforçait de montrer que tous les penchans, les instincts, les facultés, observés chez les animaux et chez l’homme lui-même ne sont que des phénomènes dus à l’organisation. En d’autres termes, l’auteur de la Philosophie zoologique prétendait remonter aux origines et aux causes premières. Telle n’est pas l’ambition de Darwin. « Je dois déclarer, dit-il, que je ne prétends point rechercher les origines premières des facultés mentales des êtres vivans, pas plus que l’origine de la vie elle-même. » Quant à la génération spontanée, voici comment il s’exprime en opposant sa doctrine à celle de Lamarck : « J’ai à peine besoin de dire ici que la science dans son état actuel n’admet pas en général que des êtres vivans s’élaborent encore de nos jours au sein de la matière inorganique. » Il se sépare ici de son illustre prédécesseur. En revanche, il s’en rapproche par ses doctrines physiologiques générales. Bien qu’ayant émis récemment des idées toutes personnelles sur le mode de formation des êtres, Darwin est en réalité épigéniste, comme l’était Lamarck, comme le sont tous les physiologistes modernes[1]. Par

  1. Dans son dernier ouvrage, Darwin a exposé sous le titre de pangénèse une théorie destinée à expliquer le mécanisme de la reproduction, théorie qui présente un mélange assez singulier des notions généralement reçues aujourd’hui avec les idées de Buffon et celles de Bonnet. Adoptant avec raison les résultats qui ont démontré l’indépendance relative des élémens organiques, il admet entre autres que ces élémens peuvent donner naissance à une infinité de gemmules cellulaires, véritables germes d’une petitesse infinie, qui passent des ascendans aux descendans et circulent dans tous les tissus. Darwin touche ici à la panspermie de Bonnet. Les conséquences qu’il tire de cette première hypothèse relativement aux phénomènes de circulation, de reproduction des parties, rappellent presque exactement celles du philosophe genevois. Ces gemmules cellulaires sont d’ailleurs capables de s’agréger comme les particules organiques de Buffon, et nous voilà tout près de la théorie de l’accolement. Elles peuvent en outre rester à « l’état dormant » pendant un nombre indéterminé de générations, et le développement tardif de ces gemmules expliquerait les faits d’atavisme, la génération alternante. On voit que ces gemmules se comporteraient comme les germes des évolutionistes, comme la matière vivante primitive de Buffon ; mais l’auteur admet qu’elles se produisent épigénétiquement dans les élémens organiques, et par là il rentre dans le courant des idées modernes. Darwin n’a du reste proposé qu’à titre provisoire cette théorie, qui, quoique