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tisseur qu’il était, le castor est devenu animal solitaire et terrier. Les instincts sont d’ailleurs héréditaires, et la loi d’accumulation se constate aisément à ce sujet. Le proverbe « bon chien chasse de race » exprime une vérité scientifique qu’eussent au besoin mise hors de doute les expériences de Knight. Il n’est pas d’ailleurs besoin d’insister sur l’utilité de certains instincts. Darwin a donc pu très logiquement leur appliquer toute sa théorie, admettre l’acquisition graduelle de chaque faculté mentale et prévoir l’époque où la psychologie, guidée par ce principe, reposera sur des bases toutes nouvelles. En définitive, pour qui croit que la cellule primitive a pu se transformer au point de devenir anatomiquement et physiologiquement une abeille, un coucou, un castor, il n’est pas plus difficile d’admettre qu’elle ait acquis les instincts qui de tout temps ont attiré sur ces animaux l’attention des naturalistes. Malheureusement c’est ici qu’il me faut abandonner un auteur avec lequel on aimerait à être jusqu’au bout en communauté de croyances. Sans doute l’espèce est variable, sans doute, en présence des faits qui s’accumulent chaque jour, on doit reconnaître que ses limites de variation s’étendent bien au-delà de ce qu’ont admis quelques-uns des plus grands maîtres de la science, Cuvier par exemple ; mais rien n’indique jusqu’ici qu’elle soit transmutable. Partout autour de nous des races naissent, se développent et disparaissent ; nulle part on n’a montré une espèce engendrée par une autre espèce, un type plus élevé sorti d’un type inférieur. C’est ce pouvoir de transmutation sans limites attribué aux types organiques que je ne saurais accepter, qu’il s’agisse de l’organisme matériel, des manifestations physiologiques ou des instincts ; mais je tiens à suivre encore Darwin dans les applications de sa théorie. Ce n’est pas la partie la moins curieuse ni la moins attrayante de son œuvre.

Et d’abord constatons que, malgré les analogies incontestables existant entre les conceptions de Lamarck et de Darwin, le rapprochement des faits et des conséquences logiques des deux théories met tout d’abord en évidence la supériorité du naturaliste anglais. Lorsque avec l’auteur de la Philosophie zoologique on admet une génération spontanée toujours agissante et par conséquent une incessante genèse, il est bien difficile de s’expliquer comment le nombre des types fondamentaux a toujours été si restreint, comment il est resté constant pendant les myriades de siècles que suppose, dans toute théorie admettant la variation lente, la formation des espèces actuelles et des espèces éteintes. L’apparition successive et la filiation des types de classes, telles qu’il les conçoit, s’accordent peu avec certains faits paléontologiques. Il en est tout autrement dans la théorie de Darwin. Celle-ci expliquerait assez bien de quelle façon l’ordre admirable que nous constatons de nos jours