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gleterre, qui a peu de goût pour les négociations vagues et indéfinies, devait avoir le même désir. C’était restreindre singulièrement la portée de l’intervention européenne ; mais cette restriction même était une nécessité inévitable, si l’on ne voulait pas aller se heurter contre des questions qui feraient éclater aussitôt tous les dissentimens. La conférence prochaine, si rien au dernier moment ne vient la faire évanouir, n’a donc d’autre mission que d’empêcher Turcs et Grecs d’en venir aux mains, de régler le différend actuel, d’éteindre une « allumette chimique » qui de l’Orient pourrait communiquer le feu à l’Occident. Elle ne veut examiner ni les affaires de Crète, qui ont été le point de départ du conflit, ni les aspirations nationales de la Grèce, ni la manière dont la Turquie réalise ses réformes intérieures. Il n’est pas moins certain qu’au-dessus d’un débat restreint et en quelque sorte tout local planeront inévitablement toutes les considérations qui se rattachent à l’état de ces contrées orientales. La question d’Orient restera au seuil de la conférence, c’est ainsi convenu ; il est bien difficile qu’elle ne fasse pas quelque apparition comme un fantôme importun, et nous ne savons pourquoi cette conférence ramène dans notre mémoire cette séance fameuse du congrès de Paris où l’Italie, sans être en cause, n’était pas moins présente, obscure et petite encore, mais prête à grandir et à faire parler d’elle dans le monde.

On s’est plu à dire avec une curieuse insistance depuis quelques jours, la presse russe ne cesse de proclamer avec passion, les journaux prussiens ont répété avec acrimonie que M. de Beust a été le boute-feu de ce nouveau conflit oriental, que c’est l’Autriche qui a poussé la Turquie à se jeter dans cette querelle avec la Grèce, et peu s’en faut qu’on n’ait imaginé quelque conspiration profonde entre Vienne et Constantinople pour brusquer la situation. En revanche, d’autres n’ont pas manqué de voir les excitations de la Russie dans les agitations incessantes de la Grèce, dans l’attitude provocatrice du jeune état hellénique vis-à-vis de la Turquie. Ce n’est pas bien nécessaire de rechercher dans quel intérêt M. de Beust se serait proposé aujourd’hui de mettre le feu à l’Orient en se cachant derrière la Turquie, ou quelle part d’influence peut avoir la Russie dans les dernières agitations de la Grèce. Ce conflit gréco-turc, il naît en vérité, comme ceux qui l’ont précédé et comme ceux qui le suivront, de toute une situation. Il faut être juste, tout est arrangé en Orient de façon à favoriser ces querelles, à la fois inévitables et insolubles. Qu’on se place à un point de vue supérieur. L’Europe après tout n’a que les embarras qu’elle s’est préparés ; c’est elle qui a créé la Grèce, qui l’a soutenue dès ses premiers pas, qui l’a euvironnée de sa protection. Elle devait bien prévoir les conséquences de ce qu’elle faisait, elle ne pouvait ignorer que cet état nouveau formé d’un démembrement de l’empire ottoman, placé en face d’un ennemi séculaire, ayant de vieilles haines et de jeunes espérances, tendrait inévitablement à s’agrandir