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tait les dépenses en même temps qu’on diminuait les recettes, il fallut remplir le vide par toute sorte de moyens. La vente des biens du clergé et des émigrés produisit en dix ans 3 milliards 500 millions; on vendit l’argenterie des églises, on fondit le métal des cloches, on décréta le maximum et l’emprunt forcé, on créa pour 45 milliards d’assignats qui finirent par tomber à rien en bouleversant toutes les fortunes. Jamais administration plus incapable n’a dirigé les affaires d’un grand peuple.

Le lendemain du 18 brumaire, quand le consulat voulut réorganiser les finances comme tout le reste, on dut appeler deux hommes qui avaient rempli de hautes fonctions au ministère des finances avant la révolution, MM. Gaudin et Mollien. Tous deux avaient travaillé avec Necker, le plus grand financier qu’ait eu la France et l’égal sous ce rapport des meilleurs ministres anglais. Gaudin était en 1789 premier commis ou directeur des contributions directes, Mollien des contributions indirectes. Quand le premier consul fit venir M. Gaudin, il lui dit : « Je vous confie une tâche difficile, mais je ne doute pas que votre habileté et votre persévérance ne la mènent à bonne fin. — Général, lui dit M. Gaudin, le succès n’est possible qu’à la condition de revenir aux anciens impôts en les améliorant. — Mais ce sont des vieilleries que vous me proposez là. — En fait d’impôt, général, les vieilleries sont souvent ce qu’il y a de meilleur. — Soit, dit le premier consul, essayez. » Le nouveau ministre essaya, et en trois ou quatre ans, grâce à la paix, l’ordre reparut dans les finances. Alors arriva la proclamation de l’empire; la guerre ramena de nouveaux désordres que toute l’habileté de Gaudin et de Mollien ne put conjurer. Napoléon aimait l’économie; mais il avait sur les finances et le crédit les idées les plus fausses. Malgré les contributions qu’il leva sur toute l’Europe et les impôts extraordinaires dont il accabla la France, il laissa en tombant un déficit que M. de Montesquiou, ministre de l’intérieur, évaluait à 1 milliard 646 millions, et que M. Calmon ramène à 724 millions, ce qui est déjà bien assez.

Ici entre en scène un homme qui, comme MM. Gaudin et Mollien, avait appris les finances avant la révolution, et qui devait comme eux rétablir l’ordre financier après une nouvelle épreuve, le baron Louis. M. Calmon a beaucoup étudié le baron Louis; il a eu ses papiers entre les mains, et en a tiré le sujet de mémoires intéressans lus à l’Académie des sciences morales et politiques. Nommé ministre des finances aussitôt après le retour des Bourbons, cet ancien conseiller-clerc au parlement de Paris se mit vaillamment à l’œuvre. Les impôts indirects avaient été rétablis par l’empire sous le nom de droits réunis, que le public appelait les droits ruineux; les Bourbons avaient été reçus aux cris de : à bas les droits réunis! et ils en avaient promis la suppression. Le baron Louis refusa de remplir cet engagement; il fit remarquer que, sous le poids des dettes laissées par Napoléon, ce n’était pas le moment de réduire les