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lancent de petits corpuscules dont le choc vient émouvoir notre rétine. C’est la théorie de l’émission. À cette théorie, on ne laissait pas de faire de graves objections. On demandait à Newton : « Où va la lumière quand elle s’éteint? que deviennent à la longue ces corpuscules qui sortent sans cesse des sources lumineuses? » Descartes avait, comme on sait, émis l’idée qu’une matière subtile remplit les espaces planétaires. On s’empara de cette conjecture à l’aide de laquelle il avait vainement essayé d’expliquer les phénomènes astronomiques, on l’appliqua à la lumière. Malebranche fut des premiers à soupçonner que la lumière est produite par les ondulations d’un éther, et que les différences des longueurs d’ondes constituent les couleurs. Huyghens adopta ce système et en soumit les déductions au calcul. Newton et Clarke, ayant eu connaissance de ces travaux, défendirent énergiquement leur théorie de l’émission. Huyghens faisait remarquer que, si l’on ouvre un très petit trou dans le volet d’une chambre obscure, on reçoit un faisceau lumineux qui diverge du trou sous forme conique; or des corpuscules qui viendraient directement du soleil suivant l’opinion newtonienne et qui passeraient par le trou du volet devraient former, au sortir de ce trou, un cylindre étroit et non un cône. Newton retournait l’argument. Si la lumière est le mouvement d’une matière subtile, disait-il, elle ne devrait pas rester confinée dans un cône étroit, elle devrait se répandre dans tous les sens et se disperser en sphère autour de chaque point d’ébranlement. — Sans doute, répondait Huyghens, en chaque point du rayon lumineux des ondulations sphériques partent latéralement à ce rayon et se répandent dans tout l’espace environnant; mais elles ne sont pas assez répétées pour produire la sensation de lumière, elles n’obéissent pas à une discipline aussi forte que celles qui se trouvent dans le sens même du rayon, et elles se détruisent les unes les autres dans leur confusion. — Ainsi la théorie des ondulations lumineuses se présentait déjà dans ses lignes principales, et bien que le triomphe ne dût en être assuré que beaucoup plus tard, grâce aux travaux de Young, de Malus et de Fresnel, elle faisait déjà bonne figure en regard de la théorie de l’émission; mais elle échappe complètement à Voltaire, qui ne la mentionne même pas. Il n’y vit sans doute qu’une des rêveries qu’inspirait aux cartésiens l’hypothèse de la matière subtile.

Voltaire reste donc sur les traces de Newton, il s’en tient à la théorie de l’émission lumineuse; mais en même temps il exagère sur un point la pensée de son guide. Dès l’instant que Newton supposait que le soleil et les autres sources lumineuses émettent incessamment des corpuscules, il était naturel de regarder ces corpuscules comme soumis à l’attraction universelle; c’est ce que fait