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put le féliciter hautement d’avoir « aplati les pôles et les Cassini. » Ainsi tomba la principale défense que le cartésianisme opposait à la physique de Newton. Celle-ci dès lors ne cessa de gagner du terrain, et les Elémens de Voltaire, répandus en France malgré les prohibitions du chancelier Daguesseau, la portèrent dans tous les esprits.


IV.

Examinons maintenant la seconde des œuvres scientifiques que Voltaire produisit à Cirey, l’Essai sur la nature du feu. L’Académie des Sciences avait proposé pour sujet d’un prix à décerner en 1738 une étude sur la nature et la propagation du feu. Voltaire résolut de concourir, et rédigea une dissertation qu’on peut lire encore aujourd’hui avec intérêt. Mme du Châtelet, mise au fait du travail de son ami pendant qu’il le préparait, n’en approuva pas les conclusions, et fit de son côté, sans prévenir Voltaire, un mémoire qu’elle envoya au concours. On raconte que, pressée par le temps, elle l’écrivit en huit nuits, se plongeant les mains dans l’eau glacée pour combattre la fatigue qui l’accablait. Ni Voltaire ni Mme du Châtelet n’obtinrent le prix. Il fut partagé entre trois dissertations, dont l’une avait été envoyée de Saint-Pétersbourg par Euler, mathématicien déjà célèbre à cette époque ; les deux autres lauréats étaient le père Lozerande de Fiesc, jésuite, et le comte de Créqui-Canaple. Les deux mémoires de Cirey eurent du moins l’honneur d’être imprimés par l’Académie à la suite des travaux couronnés. Le mémoire d’Euler ne contenait sur la nature du feu aucune vue neuve, ni aucune expérience remarquable. Il s’en tenait, suivant la méthode de l’ancienne physique, à de pures spéculations. Pour lui, la matière ignée est un fluide spécial emprisonné dans les molécules des corps comme le serait de l’air fortement comprimé dans de petites bulles de verre ; les molécules éclatent à un moment donné, comme le feraient les bulles de verre, et se brisent les unes les autres : c’est là la combustion. Si le mouvement ne va pas jusqu’à rompre les enveloppes, le corps s’échauffe sans brûler. Le mémoire d’Euler contenait seulement un détail de haut intérêt ; il apportait une formule pour déterminer la vitesse des ondes dans les milieux élastiques : c’était là une question que Newton avait étudiée en vain, et qu’il avait renoncé à résoudre. La solution d’Euler n’était qu’à demi exacte, et il fallut la corriger plus tard ; c’en était assez cependant pour frapper les juges du concours, et cette circonstance explique la décision de l’Académie en ce qui concerne Euler. On comprend moins le succès des deux autres mémoires couronnés, ou plutôt on ne peut en