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noncez à jouir de tout ce qui n’est pas su de science certaine. Quant à la méthode littéraire, nous demandera-t-on d’en signaler les écarts ? Séduite par tout ce qui brille, elle s’attache souvent à des mirages comme à des objets réels. D’un bond elle atteint l’absolu et elle en redescend si sûre, si infatuée d’elle-même, qu’elle ne voit plus de difficultés nulle part. À tout propos et sur toutes questions, elle commence par faire un échafaudage entier. Qu’on ne lui parle pas de constructions laborieusement élevées pierre à pierre et qui doivent rester inachevées ; elle ne connaît que les édifices couronnés, et c’est précisément par le faîte qu’elle commence toutes choses. Trompée par les toiles peintes qu’elle a disposées autour d’elle, elle croit toucher de toutes parts à l’infini. Que les savans viennent alors, au nom des plus incontestables découvertes, demander qu’on efface quelques-uns de ces décors ou qu’on supprime du moins quelques effets de perspective condamnés par le temps, elle les repousse comme des trouble-fête et les accuse d’abaisser la nature humaine.

Voilà les inconvéniens que présente l’emploi exclusif de l’une ou de l’autre méthode ; mais ce n’est pas à dire qu’elles soient nécessairement ennemies. Elles doivent au contraire se prêter un mutuel appui et se soutenir l’une l’autre. Ce rapprochement des deux méthodes se fait tant bien que mal à toutes les époques dans la pensée du genre humain. Elle discerne plus ou moins habilement ce qu’il y a de légitime dans les prétentions de la science, ce qu’il y a d’ingénieux dans les solutions empiriques du sentiment, ce qu’il y a d’utile et de fécond de part et d’autre. Quand ce travail se fait dans une seule intelligence, assez ferme, assez lucide, assez souple pour y suffire, on a le bon sens incarné, la raison faite homme ; on a Voltaire.


Edgar Saveney.