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par les boutades qu’on en raconte et qu’il a du reste généreusement oubliées? Weber, offenseur, venait humblement chercher son pardon; M. Wagner, plus magnanime, vient offrir le sien quand on l’attaque. Impossible d’allier tant de fanfaronnade à tant de naïveté! Dans toute cette conversation où l’auteur de Tanhäuser le prend de si haut avec l’auteur de Guillaume Tell, l’auteur de Tanhäuser n’évente pas un seul instant la fine et spirituelle mystification dont il ne cesse d’être l’objet, et quand le benoît ermite de Passy lui dit en baissant les yeux avec onction et componction : « J’avais de la facilité et peut-être aurais-je pu arriver à quelque chose! » il tient la confession pour sérieuse, et ne se doute pas de l’immense ironie que contient ce Pater, peccavi! Une partie plus sérieuse de la lettre de M. Richard Wagner est celle où il parle des appréciations historiques et définitives dont le moment lui semble venu; étudier Rossini, le juger « à sa valeur véritable et originelle, » mesurer, fixer le personnage, serait en effet une tâche attrayante et qui peut avoir son opportunité. Essayons-la.


I.

On reproche à Rossini ses formules invariablement les mêmes, ses incorrections, ses redites, sa virtuosité de jeunesse; mais songe-t-on aux orchestres, aux troupes, pour lesquels il écrivait? se représente-t-on bien surtout les conditions d’existence de ce musicien de fortune travaillant au jour le jour, usant sa voix à chanter dans les églises, accompagnant dans les théâtres le récitatif au piano à raison de six paoli par soirée, forcé de se surmener pour ne pas mourir de faim, et tant bien que mal faire vivre son père et sa mère?

Mon père était oiseau, ma mère était oiselle !


Son père, trompette de la commune à Pesaro, jouait aussi du cor au théâtre, sa mère chantait. Jusqu’à l’arrivée des Français, l’humble ménage subsista; mais à dater de ce moment commença la vie errante, une vie de bohèmes et de campemens à la manière des artistes de Callot, in Callot’s manier, comme dirait Hoffmann, dont il faudrait ici l’humoristique sentimentalité pour peindre tant de tribulations drolatiques à la fois et navrantes, et toujours courageusement supportées. « Ma pauvre mère, elle avait une belle voix dont elle se servait pour nous aider à nous tirer d’affaire, et, quoiqu’elle ne sût pas une note de musique, elle n’était pas sans talent! » Lorsque vers ses dernières années Rossini parlait de cette période d’enfance sur laquelle il aimait à revenir dans ses causeries