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thétique de la scène. Je crains un peu que la Messe solennelle ne prête à la même critique. Il y a mesure en toutes choses, et, s’il convient de ne pas mettre son art tout entier dans la syntaxe des anciens et d’introduire dans l’église les formes de la musique moderne, encore doit-on bien surveiller l’emploi que l’on fait de ces formes et ne choisir que les plus sobres, les plus rigoureusement empreintes de dignité. L’église ne nie pas, ne conteste pas la nature sensuelle de l’homme, seulement elle exige que cette nature soit toujours et partout subordonnée à l’esprit. Les entraînemens de la passion, les belles périodes bien sonnantes, sont à leur place dans un opéra; mais, pour accompagner le service divin, il faut autre chose que du pathétique théâtral. Ce que nous disons s’applique au Stabat de Rossini et par contre à la Messe solennelle, produit grandiose et suprême de la poétique mise en œuvre dans le Stabat. La messe de Beethoven, bien que le style en soit absolument moderne, fait un sanctuaire de la salle de concert où on l’exécute; celle de Rossini, usant des mêmes moyens, met le théâtre dans le sanctuaire. C’est de la musique d’art, rien de plus, mais aussi rien de moins. Ne cherchez là ni l’expression de cet inénarrable dont Mozart sur sa fin a le pressentiment, ni cette émotion michelangesque d’un Beethoven voyant comme Ézéchiel la gloire des cieux s’entr’ouvrir. « Je vais prendre Sébastien Bach, Haydn, Mozart, la messe en de Beethoven, et moi, qui devine tout, je les égalerai si je ne les surpasse. » Tel fut, je suppose, le mouvement d’où naquit ce dernier chef-d’œuvre : acte de volonté bien plus encore qu’acte de foi.

Les hommes de cette trempe ne supportent pas tous les jours si aisément l’abstention à laquelle ils se sont condamnés, et ce long silence avait fini par peser à Rossini. Comment le rompre sans se démentir? Retourner au théâtre après Guillaume Tell et tant d’événemens accomplis? Engager la lutte devant des générations nouvelles? On n’y pouvait songer, tandis qu’il n’est jamais trop tard pour écrire de la musique sacrée. Cette œuvre, passe-temps d’un homme qui s’ennuie d’être oublié et ne veut pas le laisser voir, cette messe de Rossini, toute question religieuse à part, restera comme un témoignage extraordinaire de la puissance du maître. Le Kyrie, le Gloria, le finale du Credo, le morceau d’orgue où Rossini parle la langue du grand Bach en y ajoutant les émotions du monde moderne, l’Agnus Dei, tous ces morceaux portent la marque du génie. On sent que pendant ce silence un immense travail a du se faire dans ce cerveau : travail de réflexion, d’étude, d’assimilation ! Toujours est-il que la langue est cette fois plus forte et le sentiment plus élevé. Deux morceaux seulement, un air de