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moins vraisemblables. On avait des modèles, la matière était sous la main : telle fut l’origine de cette fabrication qui a trompé tous les historiens de Mme de Maintenon.

De la pure invention de La Beaumeîle, dans les deux recueils de correspondance par lui publiés en 1752 et 1755, sont tout d’abord une soixantaine de lettres adressées à Mme de Saint-Géran et à Mme de Frontenac. La première de ces deux séries est répartie à travers presque toute la vie de Mme de Maintenon, et c’est particulièrement ici que La Beaumelle a fait usage des notes de Racine, sans préjudice d’une foule d’informations empruntées aux divers mémoires contemporains. La série des lettres à Mme de Frontenac, qui ne contient qu’une vingtaine de pièces, n’a rapport qu’à un seul sujet, à la lutte supposée contre la Montespan pour arriver à conquérir le cœur du roi. Il est facile de démontrer que cette double correspondance est absolument fausse. Mme de Frontenac, au témoignage de Saint-Simon, était un bel esprit, une précieuse ; elle et son amie Mme d’Outrelaise, habitant l’Arsenal, étaient de la meilleure compagnie ; « on les appelait les divines, et en effet elles exigeaient l’encens comme déesses. » Mme de Frontenac avait été belle, et ne l’avait pas ignoré ; un mari gouverneur au Canada n’avait en rien gêné sa liberté. — Si Mme de Frontenac eût été de l’intimité de Mme de Maintenon, comment Saint-Simon, qui nous donne les précédens détails, l’eût-il ignoré ? ou bien comment aurait-il épargné à Mme de Maintenon de rappeler cette amitié fort compromettante ? Comment Mme de Maintenon, si prudente, si discrète, eût-elle choisi une femme si livrée au monde pour lui adresser les plus intimes confidences, le secret de ses tête-à-tête avec le roi ? — Les lettres à Mme de Saint-Géran, moins palpitantes, développent des anecdotes de cour et contiennent aussi des confidences intimes. Elles dessinent particulièrement le rôle politique de Mme de Maintenon, que les lettres authentiques laissent en effet trop effacé à notre avis, soit qu’il l’ait été réellement plus que la malignité ne se plaisait à le croire, soit que, dans un temps où le secret des lettres était si fréquemment violé, Mme de Maintenon sentît la nécessité de n’écrire qu’avec une extrême réserve, même aux personnes qu’elle honorait d’une entière confiance. Ne le disait-elle pas au duc de Noailles ? « Nous sommes convenus que notre commerce ne pouvait être agréable. Vous me taisez tout ce que vous pensez, et, comme je fais de même, je vous écris le moins que je puis. » On voit que nous n’avons pas affaire, pour plusieurs raisons, à une Sévigné se livrant à la verve de son esprit et de son cœur. Mme de Saint-Géran, beaucoup plus jeune que Mme de Maintenon, était, suivant Saint-Simon, charmante d’esprit et de corps, et l’avait été pour