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eût dû lui suffire. Alors qu’il représente dans ses Mémoires Mme de Maintenon comme asservie à des soins d’une sorte de domesticité non pas de cour, mais toute privée, il méconnaît un trait de son caractère destiné à devenir une des occasions de sa fortune, c’est-à-dire ce goût de plaire et d’obliger qui la portait sans cesse, presque insciemment, tant cela lui était naturel, à rendre service aux autres, et toujours habile à s’en acquitter si aisément qu’il semblait qu’autour d’elle l’ordre s’introduisît sans nul effort ni pour elle-même ni pour les autres. Elle était chez sa tante Mme de Neuillant si peu « confondue avec les domestiques, » que sa cousine, la fille de la maison, allait avec elle garder les dindons ; chacune avait une gaule à la main, mais aussi un masque sur le visage, pour ne pas se gâter le teint, et un Pibrac dans la poche, en véritables demoiselles qu’elles étaient, et afin de ne pas oublier le bel esprit.

La Beaumelle, après cela, n’a pas craint d’autoriser le soupçon d’une ambition de nature fort équivoque, lorsqu’il a montré la veuve de Scarron luttant pied à pied contre Mme de Montespan. La série de lettres qu’il a inventées à ce sujet ne laisse pas que d’être palpitante. Il n’accuse pas formellement Mme de Maintenon ; son habileté est de la montrer à la fois romanesque, entraînée et scrupuleuse. Le lecteur assiste ému à la lutte. Aussi pas un biographe ne s’est abstenu de citer cette correspondance ; on a lu partout ces phrases devenues célèbres : « Le roi est ferme, mais Mme de Montespan est bien aimable dans les larmes… — Mon cœur est déchiré ; le sien n’est pas en meilleur état… — Je le renvoie toujours affligé et jamais désespéré. » Toutes ces lettres cependant portent en suscription le nom de Mme de Frontenac ; c’est assez dire qu’elles sont absolument de l’invention de La Beaumelle, nous l’avons démontré. A les lire isolées, on se demande si elles n’ont pas pour objet de faire croire à quelque sentiment passionné de la part de Mme de Maintenon ; mais, pour qui les étudie dans le recueil de La Beaumelle et à leur place, l’impression morale n’est pas douteuse : cette impression est très défavorable à Mme de Maintenon, car on a lu auparavant des lettres qui l’ont montrée dans une fâcheuse intimité avec la trop fameuse Ninon de Lenclos. On ne doute donc pas qu’on n’ait affaire à une jalouse ambitieuse qui veut déposséder la Montespan et déjà glisse sur la pente qui la conduira, elle aussi, à devenir maîtresse du roi. Or ces lettres à Ninon ne sont pas moins fausses que les lettres à Mme de Frontenac. Dans la première, Mme Scarron presserait Ninon, retenue trois longues années auprès de Villarceaux, de revenir, de ramener les plaisirs et les grâces : Châtillon et Du Rincy la redemandent. — Le malheur est