Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’habitait Villarceaux. Il ajoute : « Cette peinture, ayant été faite de fantaisie, ne ressemble nullement aux portraits authentiques. » Qui vous dit alors qu’on ait voulu représenter Mme Scarron ? Qui vous dit qu’on n’ait pas ici une application nouvelle et tout arbitraire de cette tradition de fatuité à l’usage des galans éconduits, tradition qui courait dès le XVIe siècle[1] et plus tôt déjà sans doute ? — Nous n’affirmons pas que lettre et peinture soient absolument apocryphes, puisque nous n’avons nul moyen de le démontrer : nous disons seulement qu’on ne prouve pas davantage qu’elles soient authentiques ; nous ajoutons qu’alors même qu’elles le seraient, il n’y aurait pas de conclusions très formelles à en tirer, ni de quoi se prononcer en sûreté de conscience. Aussi M. Pierre Clément, à vrai dire, ne soutient-il pas le ton affirmatif. Il conclut en disant que la question relative à la conduite de Mme de Maintenon paraît un problème jusqu’à ce qu’on acquière de nouveaux documens.

Oserons-nous dire cependant que ce qu’on sait aujourd’hui du caractère de cette célèbre personne, de ses qualités et de ses défauts, suffit, ce semble, à faire deviner quelle fut sa conduite, et à expliquer son incroyable destinée. Dans la première partie de sa vie, elle a pu, elle a dû ne pas succomber aux nombreux dangers, soutenue qu’elle était d’abord par une religion exacte qui ne l’a jamais quittée, puis par un sentiment de fierté et, comme elle disait, de bonne gloire, aisément d’accord avec sa froideur naturelle. Il n’y a pas besoin d’imaginer, comme Saint-Simon, des calculs ténébreux destinés à satisfaire une ambition longtemps réfléchie ; il suffit de remarquer ce sentiment de dignité personnelle qui la fit se compter à part, ne se contenter ni des vanités ni des jouissances vulgaires, n’accepter jamais de présens. Elle tempérait cette fière attitude en sachant donner à son commerce le charme d’une amitié singulièrement obligeante et commode. Ce charme se répandait autour d’elle ; autour d’elle, tous les obstacles s’aplanissaient, tout devenait agréable et facile. La séduction de sa personne, de son regard, de sa figure, de sa voix, y aidait, et aussi celle de son esprit. En se préservant de nombreux périls dans un monde brillant et léger, elle sut gagner quelque chose encore au commerce des précieux, à qui elle paraît avoir tenu tête en prose et en vers. Plus tard, dès ses premières années de veuvage, elle se trouva en possession de faire bonne figure en d’aussi grandes maisons que l’hôtel d’Albret ; Mme de Sévigné y apprenait à l’estimer, et l’ambitieuse

  1. M. Walckenaer en cite un exemple alors. —Mémoires sur Mme de Sévigné, t. V, p. 442.