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trop de raisons pour la croire perdue ; mais on y voit aussi l’honnête homme de qui l’on ne doit jamais obtenir aucun désaveu. Il faut donc, après avoir dicté la sentence, appeler le bourreau. Cependant on ne l’appelle pas encore. Quand le bras séculier est prié d’agir, il hésite. Naguère si pressé d’en finir avec Berquin, le parlement s’émeut aujourd’hui quand on le somme d’exécuter un arrêt qui pourtant ressemble à tous les arrêts de l’église en telle matière. Des voix s’élèvent pour protester contre la précipitation des juges ; on parle même de mander Berquin devant la cour, de l’entendre, d’examiner de nouveau son affaire, toute son affaire, et cet avis prévaut. On disait à l’accusé très durement, le mois passé, qu’il ne pouvait appeler d’autres juges que des clercs et des moines, et maintenant ces autres juges, que le condamné n’a pas appelés, s’offrent d’eux-mêmes. Ils ne s’offrent pas volontiers et de bon cœur, on l’apprendra bientôt. Non, le parlement de Paris n’a pas tout à coup changé de sentimens à l’égard des hérétiques, et ne veut pas les mieux traiter à l’avenir ; mais, en ce qui regarde Berquin, il regrette maintenant qu’on ait engagé ce nouveau procès. En effet, son puissant protecteur, le roi, n’est plus prisonnier. En entrant à Bayonne le 18 mars, il a été reçu par divers personnages venus à sa rencontre, entre autres par le premier président au parlement de Paris, Jean de Selve, et le soir même celui-ci, à qui le roi n’a pas fait bon visage, s’est empressé d’écrire à ses collègues : « Messeigneurs, j’ai entendu par M. de Selve, mon neveu, quelque mécontentement que l’on avait de la compagnie, et je m’en suis aussi aperçu. J’en ai jà commencé de parler à Madame. Je ferai l’office que je suis tenu faire envers la cour moyennant l’aide de Dieu[1]. » Ainsi le roi revient irrité contre le parlement, on le sait, et l’on doit soupçonner que le procès de Berquin, continué sur l’avis du parlement au mépris de sa lettre-missive, est la raison principale de la colère du roi. Que dirait-il, s’il apprenait en arrivant à Paris que Berquin est brûlé ? Il convient donc de suspendre l’exécution de la sentence.

En effet, revenant vers Paris avec une lenteur calculée, François est en route informé de tous les détails du procès audacieusement poursuivi, promptement achevé, et, craignant pour la vie de Berquin, il écrit de Mont-de-Marsan, le 1er avril, aux juges tenant sa cour du parlement de Paris :


« Nous avons présentement été avertis comme, nonobstant que par notre très chère et très amée dame et mère, régente en France durant

  1. Captivité de François Ier, p. 518.