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mort : « Aucun signe de trouble ne parut ni sur son visage ni dans l’attitude de son corps. Il avait le maintien d’un homme qui médite dans son cabinet sur l’objet de ses études, ou dans un temple sur les choses célestes. Même lorsque le bourreau, d’une voix farouche, proclama son crime et sa peine, la constante sérénité de ses traits ne fut en rien altérée. Quand l’ordre lui fut donné de descendre de la charrette, il obéit vivement, sans hésiter, et néanmoins il n’y avait rien en lui de cette audace, de cette arrogance, qu’inspire quelquefois aux malfaiteurs leur naturel sauvage; tout en lui faisait voir la tranquillité d’une bonne conscience. Avant de mourir, il fit un discours au peuple, mais personne n’en put rien entendre, si grand était le bruit que faisaient les soldats, suivant les ordres qu’ils avaient, dit-on, reçus. Lorsque la corde le liant au poteau étouffa sa voix, personne de la foule ne cria le nom de Jésus, qu’on a coutume d’invoquer même en faveur des parricides et des sacrilèges, tant avaient soulevé contre lui la multitude, ces gens que l’on trouve partout et qui peuvent tout sur l’esprit des simples et des ignorans[1]! » A ce récit, Théodore de Bèze ajoute que le grand-pénitencier de Paris, Merlin, dit de Berquin, en s’éloignant du bûcher fumant encore, qu’il n’avait jamais vu personne mourir plus chrétiennement que lui[2].

Ainsi l’on brûle en France des chrétiens comme hérétiques. Bientôt en Angleterre seront conduits à l’échafaud d’autres chrétiens qu’on nommera papistes. Sur les deux rives de la Manche, mêmes violences commises avec la même rage, mêmes vents semés, gros des mêmes tempêtes. Tristement soucieux de l’avenir, Philippe de Chabot, sieur de Brion, disait alors à François Ier : « Nous faisons des confesseurs, et le roi d’Angleterre fait des martyrs. » Encore un peu de temps, et sur les deux rives les fils des martyrs et les fils des confesseurs se lèveront pour venger leurs pères, et l’on verra commencer l’ère justement abhorrée des guerres religieuses. C’est en décrétant la liberté de conscience qu’on a mis un terme à ces massacres. Entre les opinions la paix n’est pas faite, on ne la fera jamais. Puisque la diversité des opinions est une des lois qui nous régissent, puisque Dieu lui-même a, selon saint Paul, livré le monde à nos disputes, rendons grâce à la liberté, si, toutes les sectes religieuses ayant leur querelleuse clientèle, pour elles du moins on ne s’égorge plus.


B. HAUREAU.

  1. Érasme, Epist. 1061.
  2. Histoire ecclésiastique, liv. Ier.