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promettent par leur zèle et ceux qui le quittent dans un moment d’humeur, ce qui est assurément une autre manière de le mettre dans l’embarras. Il n’a que le choix des désagrémens, et c’est ainsi qu’en peu de temps chaque ministre a eu sa petite affaire. M. Rouher lui-même, qui mieux que tout autre pourrait se mettre au-dessus de tout cela, a eu les tracasseries de son Journal officiel ; la direction des beaux-arts a eu l’affaire des tableaux du Louvre ; le garde des sceaux, M. Baroche, sans songer à mal, vient d’avoir à son tour la démission de M. Séguier à Toulouse, si bien que de l’un à l’autre le gouvernement finit par n’avoir plus même le bénéfice de la politique qu’il veut suivre. Il ne gagne pas un atome de force dans ces aventures, il y laisse nécessairement toujours quelque chose de son prestige.

De tous ces incidens qui passent, le plus récent et le plus grave à coup sûr est la démission de M. le baron Séguier, procureur impérial à Toulouse, démission qui se rattache à toutes les poursuites dont la presse est l’objet depuis quelque temps. M. Séguier est un magistrat jeune encore, ayant un grand nom, porté par un rapide avancement à la tête d’un des premiers parquets de France, et, comme il en avait le droit, il aspirait sans doute à mieux encore. À quel moment remonte sa scission avec le gouvernement ? On dit qu’il s’était déjà montré froid, il y a deux mois, dans l’affaire Baudin, et qu’on l’avait d’ailleurs laissé libre de ne pas siéger comme chef du parquet. Une nouvelle poursuite, une quatrième ou cinquième poursuite contre un journal de Toulouse est survenue, et on l’a accusé d’avoir prononcé des paroles par lesquelles il aurait enchaîné la liberté de son procureur-général, paroles qui auraient provoqué un avertissement de la chancellerie. C’est là-dessus que la rupture a éclaté, et aux sévérités de M. le garde des sceaux M. Séguier a répondu par une lettre de démission en appelant à son aide la presse, pour laquelle il encourait sa disgrâce. Ce qui a suivi était facile à prévoir. M. Séguier a été aussitôt l’objet des manifestations les plus sympathiques ; les étudians l’ont fêté et l’ont accompagné au chemin de fer. Hier c’était l’accusateur public, aujourd’hui c’est l’homme le plus populaire de Toulouse. On nous permettra de dire simplement notre pensée. La démission de M. le baron Séguier est certainement un symptôme et même un très curieux symptôme de la situation actuelle ; nous ne pouvons y voir un prétexte d’apothéose ou d’ovations en faveur de l’ancien procureur impérial de Toulouse.

Avouons-le, il y a toujours quelque chose de peu sérieux dans cet empressement à faire de tous les fonctionnaires qui se retirent des types d’abnégation et de dévoûment, comme s’ils faisaient un acte d’héroïsme. On dirait enfin que nous nous réjouissons de trouver quelqu’un qui ait de l’indépendance et de la dignité pour nous, qu’un employé qui abdique ses fonctions fait un sacrifice sans égal dont nous lui devons le prix. Si M. le baron Séguier est resté assez longtemps procureur impé-