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la banqueroute. C’est pour faire face à cette nécessité, devenue impérieuse, qu’un ministre courageux et sensé, M. Cambray-Digny, s’est décidé l’an dernier à demander aux contribuables italiens 100 millions de plus. Ce n’était pas tout que de proposer et de faire voler parle parlement ces 100 millions de contributions, il fallait les percevoir, et voilà où est la difficulté aujourd’hui.

La plus impopulaire des taxes nouvelles est assurément celle dont l’application vient de commencer le 1er janvier, l’impôt sur la mouture, le macinato, qui d’ailleurs n’est nouveau que pour certaines provinces. Il y a 58 000 moulins en Italie, c’est-à-dire 58 000 occasions de trouble. Le droit est de 2 francs par quintal de blé et de 1 franc par quintal de grains inférieurs. Par un système ingénieusement combiné pour effacer à demi le gouvernement, ce sont les meuniers qui perçoivent la taxe et en tiennent compte à l’état par abonnement ou par le moyen d’un compteur imaginé pour éviter la fraude. Au dernier moment, afin de ne rien brusquer, le ministre des finances s’est efforcé de trouver un biais ; il a consenti à n’exiger pour le premier trimestre que la moitié de la taxe, sauf, bien entendu, à recouvrer la totalité dans le courant de l’année ; mais ce n’était qu’un maigre palliatif : la réalité était là touchant au vif les populations rurales, et dès les premiers jours l’agitation a commencé. Les paysans se sont attroupés et se sont portés même à des excès. Les collisions ont bientôt éclaté entre les récalcitrans et les détachemens militaires envoyés en pacificateurs, et de fait il y a eu des morts et des blessés. Une chose à remarquer, c’est que cette agitation ne s’est pas manifestée dans les provinces qui ont connu autrefois l’impôt sur la mouture. Dans les contrées napolitaines, dans l’Ombrie, aucun désordre n’a éclaté jusqu’à présent. Dans certaines communes de la Vénétie, autour de Vérone, il y a eu quelque émotion. Les troubles ont pris particulièrement un caractère sérieux dans l’Émilie, aux environs de Bologne, à Reggio, dans le duché de Modène, du côté de Parme. L’agitation populaire est même devenue un moment assez grave pour que le gouvernement ait chargé le général Cadorna d’aller rétablir l’ordre.

Ces troubles n’ont-ils qu’un caractère spontané et local ? sont-ils dus uniquement à l’émotion causée par l’application d’une taxe peu populaire faite pour peser d’un poids plus lourd sur des classes pauvres et ignorantes ? Assurément c’est beaucoup de demander 15 ou 20 francs par an aux paysans de certaines contrées de l’Italie, et la misère explique bien des emportemens passionnés. Ce n’est point cependant la seule raison de ces soulèvemens populaires. Il semble assez clair que les partis extrêmes, toujours à l’affût des occasions de trouble, n’ont pas manqué d’exploiter la circonstance. Le fait est qu’on a saisi parmi les chefs, du côté de Reggio, un agent du duc de Modène, et que dans ce tumulte on a poussé des cris de toute sorte : vive la république ! ou vive le pape !