Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les écrivains catholiques souffrent d’un inconvénient tout contraire. On connaît trop bien ou du moins on s’imagine trop bien connaître leur ordre d’idées. Dès qu’ils ouvrent la bouche, chacun pense savoir d’avance ce qu’ils vont dire. Presque tout le monde a dans l’enfance appris son catéchisme. Il est bien vrai que peu l’ont compris, et que presque personne ne l’a retenu ; mais c’est une justice qu’on n’aime pas à se rendre à soi-même. Avec ce bagage d’érudition première, singulièrement allégé sur la route, mais complété en revanche par quelques notions puisées dans la littérature courante et dans le trésor des lieux-communs du XVIIIe siècle, tout lecteur français pense avoir fait dès dix-huit ans un cours très suffisant de théologie catholique. Dès lors pourquoi se donner la peine de lire des écrits où l’on se vante de n’avoir rien à apprendre ? Puis le catholicisme, précisément parce qu’il est le fond même de notre existence et de notre histoire nationale, la substance et la moelle dont sont faits notre chair et nos os, a été mêlé à toutes nos luttes et à tous les maux de notre pénible croissance. Sa seule présence éveille dans l’esprit une nuée de souvenirs, de préjugés, de préventions, d’associations d’idées de toute espèce qui obscurcissent sur-le-champ sa lumière. C’est le fantôme de l’ancien régime et le rude cortège de l’inquisition qui apparaissent ; c’est aussi pour chacun de nous quelque querelle particulière et domestique avec le directeur de sa jeunesse et le curé de son village. Il y a, en un mot, chez la plupart de ceux qui pourraient ouvrir un livre catholique avec la pensée de s’instruire, un mélange de présomption et d’inquiétude, de confiance dans ce qu’ils savent, de méfiance de ce qu’on va leur dire, qui est bien la moins favorable des dispositions pour se laisser convaincre.

Les ouvrages religieux de M. Guizot ont la bonne fortune d’échapper à ce double désavantage. Ils sont français et bien français, et ce n’est pas seulement notre langue qui, obéissant d’elle-même à l’un de ses maîtres, vient déployer dans ses écrits tout ce qu’elle a de souplesse, de richesse et de force ; ses idées aussi sont les, nôtres, et ses sentimens ceux que nous éprouvons tous. C’est en gouvernant la France qu’il a appris à sonder les maux dont elle souffre, et ce grand vide intellectuel et moral qui contraste avec la fécondité native de son génie et l’exubérance d’activité due à sa nouvelle constitution démocratique. S’il s’efforce de la ramener vers la religion chrétienne, c’est qu’il n’a pas trouvé ailleurs de source plus abondante et plus pure pour combler ses aspirations confuses, et que ce frein seul lui paraît assez souple et assez fort pour contenir l’irrégularité de ses écarts. C’est l’épreuve de la vie publique, c’est-à-dire de la vie passée en compagnie de ses