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récompense de toutes les vertus, la plénitude de ses droits ; mais cette conclusion, ce n’est pas la morale à elle seule, ce n’est pas même la philosophie qui la tire. Cette vie future destinée au triomphe de la justice absolue, la morale à elle seule n’a nul élément pour la connaître, la philosophie n’en a que la vague notion ; la foi seule, qui en a reçu la confidence, en donne la certitude : de telle sorte que l’intervention de la religion reparaît ici comme nécessaire non-seulement pour compléter cette foi ou pour couronner telle ou telle partie de l’édifice, mais pour en asseoir le fondement, et afin que la notion même sur laquelle la morale repose ne demeure pas éternellement, pour le scandale de la conscience, imparfaite, boiteuse, mutilée.

Je sais bien que c’est ce défaut même de confiance dans le triomphe définitif de la justice dont, par une étrange aberration d’idées, la morale indépendante se fait un titre de gloire. Elle y trouve la source d’une sorte de magnanimité qui la relève à ses propres yeux. Faire le bien pour lui-même, parce qu’il oblige, fuir le mal pour lui-même, parce qu’il répugne, sans espoir de profit ou sans crainte de peine personnelle, voilà, suivant elle, tout l’honneur de l’honnête homme. Quiconque se laisse guider par un autre motif est mercenaire ou servile : c’est l’esclave qui a peur du fouet, c’est l’avare qui place ses vertus à intérêt composé sur une autre existence. Jamais dédain plus immérité ne partit d’une appréciation plus superficielle du cœur humain. Il est faux, radicalement faux, que l’attente d’une vie future soit dans l’âme qui y place sa confiance l’effet ou la cause d’un calcul intéressé ou pusillanime. Il est faux que le croyant ouvre à son Dieu un compte dont l’immortalité à venir doit lui rembourser les avances, et la grande raison pour qu’un si méprisable trafic ne soit médité par personne, c’est que personne dans l’intimité de son cœur n’est sur que, toute compensation faite, le solde de ce compte fût à son avantage. Quel que soit l’orgueil humain, telle est la fragilité humaine qu’au fond de l’âme aucune illusion n’est possible, et que le jugement dernier n’a jamais offert à aucun mourant une perspective attrayante. Les chrétiens, moins que tous autres, peuvent être soupçonnés de nourrir ces arrière-pensées de peur ou d’égoïsme, car, convaincus par leur dogme même d’une indignité dont ils ne peuvent sortir par leurs propres forces, ne pouvant se flatter d’aucun mérite qui leur soit propre, tenant tout de la grâce et rien de leur vertu, l’idée même d’entrer en compte avec la puissance divine leur paraîtrait aussi ridicule que sacrilège. Ils comptent en effet non avec la justice de Dieu, mais sur sa miséricorde : c’est bien différent. Ce qui attache la piété du fidèle à l’espoir d’une vie future, ce n’est donc pas un retour intéressé sur