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doivent être pour les vices de leurs concitoyens, ce n’est pas aux lois du pays, c’est aux faiblesses communes de l’humanité que ces sages pasteurs les imputent, et ils distinguent même toujours entre le fond des mœurs nationales, qui leur paraît légitime et qu’ils n’ont nul dessein de changer, et les excès ou les abus partiels qui doivent mériter leur censure et appeler leur correction. Personne ne doute d’ailleurs que, si le maintien de la constitution actuelle des États-Unis avait été mis aux voix dans cette grave assemblée, il y aurait réuni l’unanimité des suffrages, et que l’œuvre de Washington et de Jefferson serait sortie aussi intacte de ce congrès de citoyens en crosse et en mitre que de la chambre des représentans ou d’une des plates-formes quelconques du suffrage universel. Est-ce à dire pourtant que cette constitution paraisse aux prélats du Nouveau-Monde la vérité souveraine et l’excellence en soi ? Est-ce à dire en particulier que la législation religieuse des États-Unis, avec la séparation radicale qu’elle opère entre la religion et l’état, leur semble, comme à certains publicistes de nos pays, à M. Édouard Laboulaye ou à M. de Pressensé par exemple, l’idéal obligatoire de toute société chrétienne ? Non, à coup sûr. Chez eux, pour eux, un tel régime leur paraît bon, et ils le disent sans hésiter. Ils ne s’inquiètent pas de savoir ce que la reproduction exacte du même système légal produirait en France ou au Japon, où Dieu ne les a pas fait naître et ne leur a pas donné d’âmes à conduire ; mais ils savent qu’en Amérique cette incompétence officielle de l’état en matière religieuse est la garantie de leur ministère pastoral. Ils lui doivent la liberté illimitée de leur prédication, de leur publicité, de leurs synodes, la facilité d’une propagande sans entraves, le stimulant du zèle et de la charité de leurs fidèles. Celui qui leur proposerait de déifier cet état de choses n’obtiendrait certainement pas leur assentiment ; mais celui qui leur offrirait de l’échanger contre une alliance bâtarde avec l’état telle qu’elle existe dans certains pays du continent, celui qui les engagerait à troquer leur liberté contre nos tutelles, leurs abondantes souscriptions volontaires contre nos maigres allocations du budget, leur fière indépendance contre la mendicité administrative de nos fabriques et de nos paroisses, de mettre en un mot entre Dieu et eux non-seulement le pape, mais le ministère des cultes, celui-là, j’en suis sûr, exciterait bien plus vivement encore leur indignation. Telle est la mesure exacte de leur attachement à la constitution des États-Unis : cette constitution s’en contente, et franchement, à mon sens, elle fait sagement. C’est un mariage de raison, dites-vous. Soit ; mais, quand le temps et l’estime l’ont consolidé, ce genre d’alliance est souvent le plus sûr et le meilleur.