politiques, où il proposait pour règle fondamentale de ne jamais parler en mal du gouvernement présent ; mais cette précaution arrivait trop tard.
Il aimait beaucoup le séjour des champs, où il pouvait se livrer en paix à ses rêveries. Dans ses dernières années, il passait une partie de ses étés au château de Chenonceaux, où il se rencontrait quelquefois avec Jean-Jacques Rousseau. Il a dédié quelques-uns de ses écrits à la propriétaire de cette charmante résidence, Mme Dupin, femme du fermier-général, en souvenir des promenades philosophiques qu’il avait faites avec elle sur les bords du Cher. Il recherchait la société des femmes, et leur plaisait, comme La Fontaine, par une naïveté gracieuse et enjouée. On cite de lui des mots charmans. Un jour Mme Geoffrin venait d’avoir avec lui un long entretien, elle lui exprima le plaisir qu’elle y avait trouvé. « Je ne suis, répondit le modeste philosophe, qu’un mauvais instrument dont vous avez bien joué. » Une autre femme d’esprit venait de soutenir devant lui une thèse brillante et frivole : « Quel dommage ! s’écria-t-il, qu’elle n’écrive pas ce que je pense ! » Outre le mot bienfaisance, on lui prête l’invention du mot gloriole, qui peint parfaitement le sentiment puéril et vain qu’il voulait combattre, et, ce qui vaut mieux encore, on lui attribue cette devise dont il avait fait la règle de sa vie : donner et pardonner. Aussi doux qu’opiniâtre, aussi patient que convaincu, il vivait sans humeur et sans colère, les yeux fixés sur un avenir qu’il ne devait pas voir, mais dont il ne doutait pas.
Ses opinions avouées contre le célibat des prêtres ont jeté des doutes sur la sévérité de ses mœurs. Il s’était chargé par charité de l’éducation de plusieurs enfans abandonnés ; on en a conclu que ces enfans lui appartenaient par un lien qu’il ne pouvait avouer. C’est Rousseau qui dans l’Emile lui a joué ce mauvais tour sans le nommer, mais en le désignant assez clairement pour qu’on ne puisse s’y méprendre. On peut invoquer contre cette supposition son propre témoignage, car on sait combien il était véridique. « J’ai observé, disait-il, très exactement tous les préceptes du Décalogue, surtout le dernier : je n’ai jamais pris ni le bœuf, ni l’âne, ni la femme, ni la servante de mon prochain. » En fait d’enfant naturel, le témoignage de Rousseau doit être suspect.
Quelques jours avant sa mort, Voltaire vint le voir et lui demanda comment Il considérait le suprême passage. — « Comme un voyage à la campagne, » répondit-il. Il s’éteignit doucement ; on le priait d’adresser quelques paroles à ceux qui l’entouraient, il répondit qu’un mourant avait bien peu de chose à dire quand il ne pariait ni par faiblesse ni par vanité. D’Argenson raconte ainsi ses derniers momens : « L’abbé de Saint-Pierre en mourant a fait ses