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gouvernement établi, et n’épargne même pas Turenne et Condé. Il ne condamne pas moins la guerre civile que la guerre étrangère.

Les Annales perdent beaucoup de leur intérêt pendant la période de la régence ; on voit que l’auteur est gêné par son attachement à la maison du duc d’Orléans. Il juge très bien la gigantesque opération de Law. On reconnaît l’auteur évincé de la Polysynodie dans ce qu’il dit de l’adresse de Dubois à dominer le régent. « Il y a même des gens qui croient, et avec vraisemblance, que, si son maître l’eût voulu contredire un jour dans le gouvernement, il se fût bientôt emparé de l’esprit du jeune roi par les craintes frivoles dont il aurait infecté son esprit, et aurait ensuite fait chasser M. le duc d’Orléans lui-même. » Ce dernier trait montre par quels moyens le vieil esprit de cour était parvenu à neutraliser les tendances du régent vers la liberté politique.

Il voit avec plaisir la chute du duc de Bourbon et l’exil de sa maîtresse, Mme de Prie, « qui ne perdait pas de temps pour s’enrichir. » En revanche, l’administration économe et pacifique du cardinal de Fleury le satisfait presque complètement. Il lui trouve beaucoup d’esprit, des intentions droites pour le bien public, et un grand désintéressement pour lui et pour sa famille. A propos de l’ordonnance de 1731 sur les donations, suivie en 1735 d’une autre sur les testamens, il voit avec joie commencer l’exécution du beau projet de rendre le droit français uniforme dans toutes les provinces. « C’est environ, dit-il, la vingt-quatrième partie de tout l’ouvrage, de sorte que par le temps qu’elles ont été à se former on peut juger que la première ébauche du droit français sera finie dans quarante ou cinquante ans. » Le chancelier d’Aguesseau présidait la commission chargée de ce travail, qui fut malheureusement abandonné.

Le 13 février 1738, il écrit sur son journal ces mots touchans : « j’ai atteint aujourd’hui la quatre-vingtième année de mon âge et avec de la santé ; si la vie est une loterie pour le bonheur, il m’est échu un des meilleurs lots que je ne changerais pas contre un autre, et il me reste une grande espérance du bonheur éternel. »

Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV, traite fort mal les Annales politiques. « Cette satire, dit-il, n’est pas assez bien écrite pour faire pardonner son injustice. » A tout moment, il cite dans les notes des jugemens de l’abbé en leur répondant avec aigreur. Il y a un peu de rivalité d’auteur dans cette critique. A coup sûr, pour la vivacité, l’élégance, la variété, l’agrément, le Siècle de Louis XIV l’emporte de beaucoup sur les Annales ; mais pour la vérité historique l’œuvre modeste de l’abbé de Saint-Pierre a l’avantage. Voltaire flatte trop la mémoire de Louis XIV, il sacrifie trop au goût naturel de la nation pour la guerre, il se laisse trop séduire par