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souvent de lui, il n’est jamais question d’une marquise d’Ussé. Ce qui est certain d’après les lettres de Mme du Deffand et de la duchesse de Choiseul, c’est qu’il mourut en 1772, ou non marié, ou veuf et sans enfans. S’il était veuf en 1742, ne peut-on pas supposer qu’entre la veuve du comte de Rochefort, alors âgée de vingt-six ans, et d’Ussé, qui avait quarante-sept ans, il y aurait eu un projet de mariage que des causes à nous inconnues empêchèrent de s’accomplir[1] ? Tout ce que les amis de d’Ussé nous disent de lui donne l’idée d’un galant homme apte à faire un bon mari, quoiqu’un peu bizarre, plutôt que d’un séducteur dangereux.

« D’Ussé est un homme d’esprit, dit Hénault, d’une humeur charmante, aussi distrait que le Ménalque de La Bruyère, la bonté même ; il a une plaisante idée de lui : il s’imagine n’avoir été créé que pour les autres ; il aurait eu du talent pour la guerre ; le meilleur comédien que j’aie vu dans ce que nous appelons troupe bourgeoise, s’il avait eu plus de mémoire. » Ajoutons que dans toutes ces comédies de société d’Ussé joue invariablement le rôle des pères nobles, des Gérontes plus ou moins ridicules. Il faut remarquer aussi que le président Hénault, rédigeant ses souvenirs dans sa vieillesse, en 1762, et plaçant dans la même page d’Ussé et Mme de Rochefort, ne dit plus mot de cette affaire de cœur dont il parlait à Mme du Deffand vingt ans auparavant. S’il y avait eu autrefois entre les deux personnes qu’il associe dans ses souvenirs un arrangement à la manière du XVIIIe siècle, pourquoi dans cet ouvrage, écrit en toute liberté, le président n’y ferait-il pas même une légère allusion ? Dira-t-on que l’arrangement a pu exister, quoique éphémère. Cette supposition ne s’accorderait guère ni avec la grande différence des âges, ni avec le caractère sérieux et solide que tous les amis de Mme de Rochefort reconnaissent en elle, et que signale notamment le président Hénault dans le portrait de jeunesse cité au début de cette étude. Ajoutons enfin un dernier argument emprunté à la correspondance inédite que nous avons sous les yeux. Le marquis d’Ussé resta jusqu’à sa mort l’ami dévoué de Mme de Rochefort, il figure dans cette société qui se réunissait autour d’elle quand elle vint en 1758, âgée par conséquent de quarante-deux ans, habiter au palais du Luxembourg un appartement donné par le roi. Le marquis de Mirabeau, qui y figure aussi à cette époque où règne le

  1. Mme du Deffand dit dans une de ses lettres que d’Ussé était du même âge qu’elle ; mais je vois dans l’annonce de sa mort, faite par la Gazette de France en 1772, qu’il était âgé de soixante-dix-sept ans. Il avait donc deux ans de plus que Mme du Deffand, et par conséquent vingt et un ans de plus que Mme de Rochefort. Cette grande différence d’âge, compatible encore avec un projet de mariage, ne l’est plus autant, on en conviendra, avec l’hypothèse d’une liaison galante.