applaudi ; je vous ai arraché à trente rivales : il semble que je vous ai fixé. Je suis riche, libre, jeune, assez jolie, puisque vous m’aimez ; voilà l’hymen au service de notre amour. Vous voyez que je sens tout le prix de ma position.
Marquise, serait-ce là le préambule de mon congé ?
Qu’osez-vous penser ? Non, Lindor, j’ai besoin d’un épanchement avec vous. J’imagine que je retrouverai dans une confidence singulière ce que je cherche inutilement depuis quelque temps.
De grâce expliquez-vous.
Je viens de vous détailler tous mes avantages. Vous l’avouerai-je ? Avec tout cela, je ne suis point heureuse. Environnée de tout ce qui compose le bonheur, le bonheur me manque, je le cherche, je l’appelle en vain ; j’y renonce, puisque la possession de votre cœur ne me l’a point procuré.
Tout autre que moi, marquise, soupçonnerait de l’artifice dans un tel discours ; mais une disposition toute pareille à la vôtre me donne la clé de l’énigme. Vous m’enhardissez à un aveu que rien sans cela ne m’aurait arraché. Je le vois, nous sommes affectés de la même sorte : une confiance mutuelle peut nous soulager. Je ne vis que pour vous, je vous adore ; vous joignez toutes les qualités à tous les charmes. Je devrais défier la gloire et les plaisirs des dieux ; cependant, je le confesse, je ne suis point heureux.
Rien n’est si singulier que cette sympathie, elle m’était absolument nécessaire pour me faire entendre.
Oh ! je vous entends à merveille. C’est une langueur de l’esprit, c’est un engourdissement de l’âme qui laisse aller la machine à l’exercice de ses fonctions, sans s’en mêler, sans y entrer pour rien.
Oui ! cœur desséché, goût flétri !
Et les deux blasés décident qu’ils resteront au point où ils en sont. — La fin de la scène offre un trait de caractère bien saisi. Lindor demande à Chloé si elle est disposée à s’intéresser au mariage de sa sœur Lucette. Chloé répond : « Ne m’en parlez pas. »
Son mariage ne vous convient donc pas ?