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concluons qu’elle aimait à jouer ce rôle, et qu’elle le jouait bien.

La dernière pièce qui complète ce théâtre de société est intéressante comme tableau de mœurs. Sous ce titre : le Bel Esprit du temps ou l’Homme du bel air, l’auteur a refait en prose dans un petit cadre, et en la transformant pour l’appliquer aux ridicules de l’époque où il vivait, la comédie des Femmes savantes. Amalasonthe, femme de M. Géraste, est une Philaminte du XVIIIe siècle, qui aime aussi les petits vers galans et la physique, qui oblige sa fille Angélique à s’occuper dans la même matinée de traduire de l’anglais, de faire de la musique, de la géométrie et deux logogriphes ; mais ce que Mme Amalasonthe apprécie surtout, c’est l’esprit philosophique. Elle entend par là le dédain de toutes les opinions reçues combiné avec le bel air, et c’est ce qui fait qu’elle veut absolument donner sa fille à Alcidor, type excellent du genre de fatuité qui la charme. M. Géraste n’est pas si facile à effrayer que Chrysale. Il tient tête à sa femme avec un peu plus de courage, et comme il est plus calculateur que Chrysale, il a choisi pour candidat à la main de sa fille un jeune financier, Nicandre, brutal et sot, mais qui est de la compagnie des Indes et en passe de devenir très riche. Angélique aussi a fait son choix, c’est un jeune colonel honnête homme, nommé Clindor, qui ressemble assez au Clitandre de Molière, avec cette différence qu’il a gagné le cœur de Mme Amalasonthe en se présentant à elle sous un faux nom, avec l’humble qualité de précepteur, et sans autre prétention que celle d’enseigner à sa fille toutes les sciences. « C’est un hasard unique, dit Amalasonthe, et qui m’était dû, de trouver toutes les connaissances imaginables réunies dans un seul homme. Enseigner à la fois la musique, la géométrie, l’histoire, la physique ! Cet universel est né tout exprès pour moi, car il n’est point connu dans Paris, je ne lui sais point d’écolières. » Au dernier moment, Clindor profite de l’aversion égale que chacun des deux autres candidats inspire soit au père soit à la mère pour dévoiler sa condition et faire ratifier par eux le choix de leur fille.

Le personnage le plus original et le mieux réussi de cette comédie, quoiqu’il soit un peu chargé, c’est Alcidor, type de fatuité paradoxale et ironique. Montrons-le dans une scène avec M. Géraste. Son langage, parfois singulièrement audacieux, bien que toujours élégant, offre des nuances qui ne seraient probablement pas acceptées aujourd’hui sur la scène ; mais c’est précisément parce qu’il n’effarouchait point le noble auditoire réuni à l’hôtel de Brancas que nous devons le reproduire. Le duc de Nivernois, très habile acteur, joue ce rôle spirituel et impudent, et, comme toujours, le marquis d’Ussé fait Géraste, le père d’Angélique, Sur les instances de sa femme, il a consenti à avoir un entretien avec Alcidor, qui se propose pour épouser sa fille.