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cette même ambassadrice qui parle si librement reste irréprochable dans le cours de la pièce à travers les épreuves que lui fait subir la jalousie d’un mari aimé de sa femme sans qu’il s’en doute, et qui de son côté aime sa femme sans vouloir en convenir. Cet amour-propre mal entendu, qui les fait se tromper sur leurs sentimens mutuels, est également dans l’esprit de la comédie française au XVIIIe siècle ; mais quand on étudie cette comédie, soit dans le théâtre de société que nous avons sous les yeux, soit dans le répertoire du Théâtre-Français, il est difficile de ne pas remarquer que, si le mariage y est souvent persiflé par les petits-maîtres et les valets, l’intérêt principal porte presque toujours sur un amour honnête couronné par un mariage, et que, si l’adultère y est parfois indiqué en perspective à l’état de possibilité, comme dans la petite pièce de Rochon de Chabannes intitulée Heureusement, ou bien à l’état de supposition comique, quoique d’assez mauvais goût, mais invraisemblable, comme dans les scènes du cinquième acte du Mariage de Figaro, il n’y est jamais étalé comme de nos jours dans sa réalité la moins équivoque et la plus brutale. C’était, si l’on veut, par bienséance plus que par vertu que les hautes classes d’alors, qui exerçaient sur le théâtre une incontestable influence, n’y admettaient pas volontiers l’adultère en fait, puisque c’était surtout parmi elles qu’à cette époque le lien conjugal était le moins respecté. Toujours est-il que les bienséances théâtrales s’imposaient encore avec assez de sévérité pour que Beaumarchais, dont la pudeur n’avait rien d’excessif, crût devoir déclarer dans sa préface du Mariage de Figaro qu’il se serait considéré comme coupable de mettre Chérubin sur la scène, si ce personnage avait seulement dix-huit ans. Et en effet, lorsque plus tard il entre le premier dans la voie où il devait trouver depuis tant d’imitateurs, dans la voie de la comédie pathétique au moyen de l’adultère et de ses conséquences, l’auteur de la Mère coupable cherche à éviter autant que possible l’avilissement de la femme en supprimant au moins le complice de sa faute. Vingt ans se sont écoules depuis la mort de Chérubin ; la gravité de cette faute d’un moment, atténuée déjà par les circonstances qui en furent l’occasion, l’a été encore davantage par les vingt ans de vertu et de repentir qui l’ont suivie. La pièce à la vérité pèche par d’autres côtés ; mais l’unique scène d’explication entre le mari jadis outragé et l’épouse coupable est bien plus délicatement touchée que les scènes analogues du théâtre contemporain, et cependant, si l’on en croit La Harpe, le public de 1792 trouva cette scène trop forte.

Le public de nos jours n’a plus les mêmes scrupules : sauf quelques trop rares exceptions où il s’est montré justement sévère, il